Léa Pool a achevé mardi le tournage de son prochain long métrage, Hôtel Silence. Mettant en vedette Sébastien Ricard, le film aborde le pouvoir des rencontres profondes et la prééminence de la vie quand la mort menace. La Presse a assisté à une partie de la dernière journée de tournage.

C’est l’histoire d’un homme, Jean, qui veut en finir avec la vie. Il quitte son chez-lui pour se donner la mort, mais rencontre des gens, dans un pays heurté par la guerre, qui lui redonnent l’envie d’exister. C’est l’histoire de deux misères qui se croisent, celle que l’un vit à l’intérieur, celle que les autres ont subie de l’extérieur.

C’est l’histoire, aussi, « de femmes et de la guerre », nous dit Léa Pool, rencontrée à Châteauguay, sur le tournage d’Hôtel Silence. Le film est l’adaptation du roman Ör, de l’auteure islandaise Auður Ava Ólafsdóttir. La scénariste et réalisatrice prépare une œuvre dans la lignée du cinéma qu’on lui connaît. « Dans ses films, il y a toujours un subtil mélange entre un regard social et une grande sensibilité du point de vue psychologique. Ce ne sont pas que des drames, ce sont des drames dans leurs sociétés », décrit Paul Ahmarani, qui tient un rôle dans deux scènes du film, rencontré durant le tournage.

Il connaissait l’œuvre originale parce que sa conjointe a lu tous les livres d’Auður Ava Ólafsdóttir.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Paul Ahmarani sur le plateau d’Hôtel Silence

C’est une histoire très sensible, sur le fait de se reconstruire au contact de la vie des autres.

Paul Ahmarani

Mais le comédien le dit d’emblée : ce qui l’a mené à ce projet avant tout, c’est l’envie de travailler avec Léa Pool.

Quelques minutes plus tard, lorsqu’on l’interroge à son tour, Sébastien Ricard, qui interprète Jean, nous dit exactement la même chose. « C’est le fait que ce soit elle qui réalise qui m’a interpellé au départ, dit-il. Qu’elle ait pensé à moi pour ce rôle, ça me fait extrêmement plaisir. C’est un rôle qui est très beau. »

Sébastien Ricard nous accorde une entrevue sur le plateau où il jouait quelques instants plus tôt une scène du début du film. L’équipe de quelques dizaines de personnes prend une pause lunch avant de compléter officiellement les 28 jours de tournage pour Hôtel Silence. Le vent souffle, mais c’est une magnifique journée pour des prises de vue extérieures. La scène d’aujourd’hui, toutefois, s’inscrit dans la partie la plus sombre du film, où l’on constate le désespoir que vit le personnage principal avant de quitter le Québec, nous raconte Sébastien Ricard.

Jean est « désillusionné et découragé par la vie », nous résume l’acteur. « Puis, il s’en va ailleurs pour mourir, mais il se retrouve à se reconstruire grâce aux rencontres qu’il fait. » Une phrase du livre, qui représente une idée maîtresse du film, l’a particulièrement marqué : « Il faut regarder sa souffrance en face pour partager celle des autres. »

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Le plateau d’Hôtel Silence

Souffrance et lumière

Hôtel Silence aborde de front cette thématique de la souffrance. Léa Pool nous en parle comme une chose qu’on ne peut ni mesurer ni comparer. « Quand on souffre, on souffre », dit la réalisatrice canado-suisse. Lorsque Jean arrive dans ce pays sans nom qui sort tout juste de la guerre, sa souffrance intérieure n’est pas pire ou plus supportable que celle des gens qu’il rencontre là-bas. Mais en étant confronté à ce qu’eux ont vécu, sa perspective change, il retrouve peu à peu un sens à sa propre vie.

« Il les découvre, il bricole pour ces gens qui viennent de reprendre l’hôtel où il loge, raconte-t-elle. Il s’attache au garçon de 6 ans d’Anna, la fille qui tient l’hôtel, qui ne parle pas, qui est traumatisé par la guerre. C’est un film qui est dark au départ, mais qui va vers la solidarité, l’entraide et la lumière. »

Léa Pool adapte ainsi le roman Ör, un livre publié dans une vingtaine de langues et qu’elle a lu il y a environ quatre ans. Tout de suite après, elle a écrit à l’auteure, lui a expliqué quel genre de cinéma elle fait et pourquoi elle voyait une connexion entre elles. Auður Ava Ólafsdóttir n’avait jamais accordé les droits pour l’un de ses romans auparavant. « Je pense qu’elle m’a entendue, dit Léa Pool, en souriant doucement. Elle m’a dit OK. »

La détermination de Léa Pool

Le tournage achevé mardi, la postproduction peut commencer. Hôtel Silence devrait arriver au grand écran à l’automne. Pour Sébastien Ricard, le film est comme un rappel « que la vie est plus forte que tout ».

« On vit dans une société extrêmement dure. Le seul espoir qu’on peut avoir entre êtres humains, c’est d’avoir cette solidarité et de savoir qu’on fait partie de la même humanité, dit Léa Pool. Jean écrit dans un cahier tout au long de l’histoire et il le donne à Anna à la fin. La dernière phrase qu’il écrit, c’est : “Il suffit parfois d’une rencontre pour que tout redevienne possible.” Ce sont les rencontres profondes et la compréhension de l’autre qui font qu’on peut continuer à espérer. »

De l’espoir, il lui en a fallu beaucoup (et du travail, également) pour que prenne vie le projet Hôtel Silence. « Pour faire du cinéma, il faut vouloir vraiment, il faut se battre et il faut beaucoup de résilience, affirme la réalisatrice de plus de 40 ans d’expérience. Après mon premier refus de la SODEC [qui finance les productions], j’ai dit à mon directeur photo que ce film allait se faire, que ça prendrait le temps que ça prendrait, mais que je n’allais pas lâcher. Je devais faire ce film. »