La productrice Denise Robert entretenait depuis de nombreuses années une collaboration étroite avec Les Films Séville.

Tous les longs métrages qu’elle a produits depuis 10 ans, du Règne de la beauté (Denys Arcand) jusqu’à Lignes de fuite (Catherine Chabot et Miryam Bouchard) en passant par 1:54 (Yan England), La chute de l’empire américain (Denys Arcand), Menteur (Émile Gaudreault) et de nombreux autres, ont été mis en marché par la société dont le secteur de la distribution de films en salle a cessé ses activités mardi. Pour la première fois de sa carrière, la productrice dit être « vraiment inquiète ».

« Nous sommes tous sous le choc, a-t-elle déclaré au cours d’un entretien accordé à La Presse. Je trouve profondément inquiétant ce qui se passe actuellement. Il existe d’autres boîtes de distribution au Québec, mais elles sont toutes sous-financées. »

Les Films Séville étaient la seule ayant les reins assez solides pour être en mesure d’organiser un lancement de film à la grandeur de tout le Québec. Il y a un manque chronique de moyens dans le domaine de la distribution.

Denise Robert, productrice

La productrice salue le dévouement et la gentillesse des employés de Séville qui, même en ayant perdu leur emploi, s’assurent de la bonne marche des choses en vue de la sortie prochaine, le 6 juillet, de Lignes de fuite, comédie dramatique dont la grande première montréalaise a eu lieu lundi au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts. Mais qu’adviendra-t-il ensuite ?

« Denys Arcand va tourner un nouveau long métrage à l’automne, précise-t-elle. Nous mettrons aussi en chantier l’adaptation cinématographique des Belles-sœurs en comédie musicale. Or, la sortie d’un film se prépare avec un distributeur bien en amont, avant même d’en commencer le tournage. Il faut un accompagnement, une infrastructure. »

Rapatrier le catalogue

Denise Robert se préoccupe également du sort de l’imposant catalogue d’œuvres québécoises que gèrent Les Films Séville. Elle en appelle en outre aux instances gouvernementales afin que les droits de tous ces films soient rapatriés. « Il faut à tout prix que ça reste au Québec et rendre ces œuvres accessibles au public. Que les droits du Déclin de l’empire américain appartiennent à des Américains n’a aucun sens », dit-elle.

Elle rejoint en cela la position de l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM). « Seule une entreprise québécoise sera en mesure d’apprécier la richesse de ce catalogue et d’en favoriser le rayonnement et la commercialisation au bénéfice des auditoires et des titulaires de droits », a souligné dans un communiqué Hélène Messier, présidente-directrice générale de l’AQPM.

À cet égard, rappelons que Les Films Séville sont une filiale d’Entertainment One, entreprise achetée en 2019 par le géant américain Hasbro, spécialisé dans les jouets et les jeux, pour une somme d’environ 4 milliards de dollars.

Denise Robert, productrice des Invasions barbares de Denys Arcand (à ce jour l’unique lauréat canadien de l’Oscar du meilleur film international), estime qu’un soutien financier conséquent est nécessaire pour, d’une part, récupérer le riche catalogue patrimonial des Films Séville, et, d’autre part, mettre à l’affiche de nouveaux films en y consacrant les moyens qu’il faut.

« Même si une nouvelle entreprise arrivait dans le décor, je vois mal comment celle-ci pourrait dégager des budgets aussi importants pour faire les deux. Il est impératif que l’État finance ce secteur de notre industrie correctement, à la hauteur de nos ambitions. Il faut se donner les moyens de compétitionner avec les Américains, parce que ça vaut la peine de le faire. Le talent est là. La disparition de Séville crée un très grand vide. Et qu’arrivera-t-il aux autres distributeurs ? », demande-t-elle.

Des écrans à reconquérir

Autrement dit, la productrice a le sentiment que l’industrie du cinéma québécois est à un tournant et qu’elle se dirige tout droit vers la catastrophe si rien n’est fait. Les films hollywoodiens occupent une très grande part des écrans au Québec.

Il faut reconquérir nos écrans ! On a l’impression qu’une partie de la chaîne est en train de casser. L’érosion à laquelle on assiste m’inquiète profondément et il ne faudrait surtout pas que notre cinéma en devienne un de plateformes.

Denise Robert, productrice

« Évidemment, la pandémie a fait mal. Il faut justement soutenir les sociétés de distribution avec de vrais moyens, le temps de laisser le public retrouver le chemin des salles. »

Le talent des créateurs lui permet de garder confiance. « Mais il faut que le gouvernement bouge rapidement. »

Au cabinet de la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, on nous indique que la situation est préoccupante au point que la ministre a mandaté la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour suivre la situation de très près, afin de s’assurer qu’aucun film québécois ne soit affecté par la fermeture du service de distribution en salle des Films Séville.