Xavier Dolan sera finaliste le 25 février dans la catégorie du meilleur acteur dans un second rôle à la 47e cérémonie des Césars, pour Illusions perdues, adaptation du roman de Balzac du cinéaste Xavier Giannoli. Ce film sur le désenchantement face aux compromissions, manipulations et jeux de coulisse du monde littéraire, journalistique et culturel au début du XIXe siècle à Paris prendra l’affiche le même jour au Québec.

Marc Cassivi : Cette nomination aux Césars, est-ce le signe qu’on te considère enfin autant comme un acteur que comme un réalisateur, notamment en France ?

Xavier Dolan : C’est sûr qu’il y a une forme de consécration derrière cette reconnaissance. Je le dis, je le pèse et je le pense : ce n’est pas le fait de gagner qui serait une consécration, mais juste qu’on y pense, qu’on me nomme. C’est comme si on me disait : « Nous, on te voit comme un acteur. » Les acteurs avec qui je travaille me parlent toujours « en acteur », de jeu. C’est dans l’esprit de réalisateurs et de journalistes qu’on ne me perçoit pas comme tel.

M. C. : Le film s’intéresse à la complaisance et à la méchanceté intéressée de certains journalistes au début du XIXe siècle. Je lisais Un grand homme de province à Paris (la deuxième partie d’Illusions perdues) et j’ai été étonné de constater que Balzac, qui a lui-même été journaliste, posait un regard aussi cynique sur le journalisme. Même si les dialogues sont différents.

X. D. : Quand on lit Balzac, on voit qu’il y a énormément de licences créatives qui ont été prises. De très belles réécritures et appropriations de style de la part de Xavier [Giannoli]. Il y avait une forme d’ignorance de ma part, parce que je n’avais pas lu cet ouvrage. J’ai lu deux ou trois livres de Balzac au secondaire. J’étais là un peu en touriste. Mais en lisant le scénario, j’ai été excité par les similitudes. On aime ces œuvres-miroirs qui nous font voir à quel point l’histoire se répète.

M. C. : Balzac a écrit : « La polémique est le piédestal des célébrités. » On le voit aujourd’hui avec la téléréalité. Tu as déjà parlé de l’effet que la critique avait eu sur ton parcours : Juste la fin du monde n’a pas été distribué aux États-Unis après des critiques que tu trouvais de mauvaise foi… Es-tu cynique vis-à-vis des médias ?

X. D. : Je ne suis pas cynique, parce que chaque fois que je fais un film – ou maintenant, une série –, j’ai espoir que certains l’aiment et en disent du bien. Si j’étais cynique, je dirais que ça ne vaut pas la peine de lire la critique. Moi, ça m’intéresse. Même si ç’a été malsain, notamment à la sortie de Ma vie avec John F. Donovan, et qu’il a fallu que j’arrête, parce que j’étais en train de devenir fou. Au début de ma carrière, il y avait des critiques qui étaient bien intéressantes. Est-ce que le monde de la critique a changé ou est-ce parce que moi, j’ai changé, que maintenant j’ai plus de difficulté à en trouver, des intéressantes ? C’est-à-dire constructives, pas haineuses ou vicieuses ou personnelles.

M. C. : Trouves-tu dans Illusions perdues un écho à ton propre rapport aux médias ?

X. D. : En faisant le film, je n’en avais pas tant conscience. J’étais juste content de jouer Nathan, un auteur qui est respecté et célébré, malgré toutes les magouilles et les manigances. C’est en t’en parlant que je fais un parallèle avec ce que j’ai vécu. Avant même que la critique voie John F. Donovan au festival de Toronto, je savais que c’était perdu d’avance. Dans la scène qui est la meilleure d’Illusions perdues à mon avis – la meilleure scène de film de toute ma vie, en fait, toutes catégories confondues –, Lucien [le critique] dit qu’il ne peut pas dire du mal du roman de Nathan, parce qu’il est bon et sincère. Son rédacteur en chef lui dit : « Tu peux toujours dire du mal d’un livre. S’il est intelligent, tu dis qu’il est prétentieux. S’il est vrai, tu dis qu’il est racoleur… » Cette scène, je ne peux pas dire à quel point je la trouve bien écrite. Elle est intemporelle. On peut toujours dire du mal d’une œuvre. Il faut juste chercher.

M. C. : Tu travailles au montage de la série télé La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé [adaptation de la pièce de Michel Marc Bouchard, qui sera diffusée sur Illico l’automne prochain ainsi que sur Canal+ en France]. Je sens une désaffection chez toi pour le cinéma. Est-ce que tu restes quand même convaincu qu’il y a des histoires qui se racontent mieux en 1 h 30 qu’en 10 épisodes d’une heure ?

X. D. : Complètement ! On ne fera pas de débat sur le format. Je ne suis pas en train de dire que le cinéma ne sert à rien. Seulement que moi, présentement, ça ne me tente pas. Il n’y a personne qui est allé voir mes derniers films, Marc ! Ils ont été sacrifiés par des dates de distribution complètement incohérentes, face à des films événementiels comme Joker. Je ne te dis pas que les thèmes de ces films étaient très populaires, contrairement à celui de Mommy. D’autres ont été descendus par la critique. Je ne dis pas que ça ne m’arrivera pas avec la télé, de mauvaises cases horaires ou de mauvaises critiques. Mais pour l’instant, ce format m’a énormément plu. Cette méthode de travailler, le fait surtout de prendre le temps, ça m’a énormément interpellé et inspiré. J’étais content d’entendre Denis [Villeneuve] dire que Dune était son meilleur film. On m’a déjà reproché d’avoir dit ça dans le passé…

M. C. : C’est ce que tu as fait de meilleur [Laurier Gaudreault] ?

X. D. : Cette série est mon meilleur film ! Matthias et Maxime n’était pas mon meilleur film. Je le savais quand je l’ai fait. J’avais l’intention de raconter une bonne histoire, plus humblement, à travers une mise en scène plus épurée. Ça a donné un film qui n’avait pas le caractère ou la personnalité de Mommy ou de J’ai tué ma mère. Jamais je ne me suis empêché d’importer des idées télévisuelles au cinéma ou des idées cinématographiques à la télévision. Ces concepts sont de toute façon très vagues. J’ai voulu, plus que jamais, plus que dans tous mes derniers films, faire de la mise en scène. Mettre en scène des idées créatives. En même temps, c’est probablement le produit le plus commercial que j’ai fait de toute ma vie ! Tout ça est possible.

M. C. : Je t’entends bien. Je suis amateur de séries, moi aussi…

X. D. : Le problème au cinéma, c’est de trouver les ressources nécessaires au moment de la création, et le public au moment de la parution. Quand il n’y a personne en salle, c’est tout ça pour rien ! Pour rien ! Ça, ça me rend amer. Et je n’ai pas envie d’être amer. J’ai envie d’être un bon artiste, un bon humain, et de toujours grandir. Et pour grandir, j’ai besoin d’avoir une forme de reconnaissance.

M. C. : Mais tu en as eu, de la reconnaissance !

X. D. : Tu parles de prix ? Moi, je te parle, dans notre vocabulaire moderne, de « views ». Je veux des « likes » ! (Rires) C’est excessivement vulgaire, mais tu comprends. Je veux que les gens posent leur regard sur mon travail, en discutent, et que ça vive ! Je ne veux pas juste aller dans un festival, rentrer chez nous et faire des entrevues pendant trois jours pour un film que personne ne va aller voir. On ne va pas au cinéma ! On n’y va juste pas ! Le facteur déterminant, c’est rendu : « Est-ce que je prends mon char ? »

M. C. : Je comprends. Mais tu sais qu’à la fin de tes jours, il sera écrit que tu as gagné le César du meilleur réalisateur pour Juste la fin du monde (qui a dépassé le million d’entrées en France). Personne ne va se souvenir que des critiques américains n’ont pas aimé ça.

X. D. : L’être humain est ainsi fait que l’on cherche toujours la validation des gens qui nous rejettent. Ce sont ceux qu’on veut impressionner le plus. C’est bien, en même temps : ça veut dire qu’on se donne des défis puis qu’on se challenge.

M. C. : Ton prochain projet sera une série télé aux États-Unis. C’est ton cheval de Troie pour conquérir les Américains par où ils ne t’attendent pas ?

X. D. : C’est ce que je veux faire ! C’est ce que je développe. Il faut l’écrire. Je n’ai aucune idée si ça va se faire. Je te déçois, mais…

M. C. : Pas du tout. Comprends-moi bien : j’ai hâte de découvrir tes séries. Mais j’espère aussi pouvoir encore voir tes films au cinéma.

X. D. : C’est juste que maintenant, dans l’équation et la réflexion autour de vouloir faire un film, il y a : « Comment je vais le financer, est-ce que les gens vont le voir, et si je ne le fais pas, est-ce que je vais mourir ? » C’est comme ça que je fonctionnais au début de ma carrière. J’avais 20 ans, j’avais une fougue, une énergie et un romantisme qui faisaient en sorte que je disais des choses comme ça. « Si je ne fais pas ce film, je vais mourir. » Je pense que c’était vrai à l’époque. Aujourd’hui, c’est : « Si je ne fais pas ce film, ben, je vais lire. » (Rires) Les choses se relativisent.

M. C. : Tu veux prendre davantage ton temps. Le rythme que tu avais était insoutenable.

X. D. : Il faut aussi avoir envie de faire des films et de raconter des histoires. Ces histoires, présentement, je ne les ai pas. Et cette envie non plus.

M. C. : Je sais que tu n’as jamais aimé être comparé à Pedro Almodóvar, mais sa carrière a vraiment décollé à la fin de la trentaine. Il a réalisé ses meilleurs films à 50 ans. J’espère voir les films que tu feras à 50 ans.

X. D. : Moi, je pense qu’on va tous être dans des bunkers avec des chapeaux en aluminium. Mais ça, c’est mon avis personnel. (Rires) En même temps, en 2012, quand je me faisais demander où je me voyais dans 10 ans, je répondais que je me voyais chez moi, inquiété par la situation climatique. On me disait : « Vous n’êtes pas un peu alarmiste ? » Regarde ton thermomètre ! Ça ne sert à rien de me projeter dans 10 ou 20 ans. Je veux me projeter l’année prochaine. Je veux bien vivre, je veux pouvoir prendre soin des gens autour de moi, je veux pouvoir m’améliorer, grandir. Je suis dans ma trentaine, ça ne me dérange pas de ne pas faire un film par année, au contraire. Pouvoir me déposer et réfléchir, ça m’a permis de faire cette série dont je suis extrêmement fier.