Les critiques de notre envoyé spécial sur la Croisette

Drive my Car, de Ryūsuke Hamaguchi : un premier candidat sérieux pour la Palme d’or

Trois ans après Asako I & II, Ryūsuke Hamaguchi est de retour en compétition à Cannes. À 179 minutes, Drive my Car est le plus long des 24 films en lice pour la Palme d’or. C’est aussi le plus beau que nous ayons vu jusqu’à maintenant. Dans ce drame admirablement mis en scène, où le thème de la disparition trouve un magnifique écho dans le théâtre d’Anton Tchékhov, le cinéaste japonais livre un cinéma aussi subtil que poignant, gratifié aussi d’une facture visuelle splendide. Le récit est construit autour de la quête de sens à laquelle se livre Yusuke (Hidetoshi Nishijima), acteur et metteur en scène de théâtre qui souffre du départ soudain et mystérieux de sa femme, dramaturge avec laquelle il filait le parfait amour, même si des infidélités ont aussi fait partie du parcours du couple. Ayant accepté de monter une version multilingue d’Oncle Vania à Hiroshima, il se livre à de longues conversations existentielles avec Misaki (Tōko Miura), la jeune chauffeure chargée de le conduire dans tous ses déplacements. Portant à l’écran une nouvelle de Haruki Murakami, Ryūsuke Hamaguchi propose un film ample, dans lequel la voiture — une SAAB 900 dont Yusuke prend grand soin — est pratiquement un personnage à elle seule, tant elle sert ici de bulle à l’écart du monde, tout en étant au beau milieu de tout. Toutes les images captées sur la route sont d’ailleurs superbes. Il émane de l’ensemble une douce mélancolie, alliée à une réflexion sensible et mature sur la nature du sentiment amoureux. Drive my Car est l’un des rares films de la compétition qui semble faire un semblant d’unanimité. Le retrouvera-t-on au palmarès samedi ? Souhaitons-le.

La fièvre de Petrov, de Kirill Serebrennikov : tout est chaos

En 2018, Kirill Serebrennikov n’avait pu venir présenter son formidable Leto, car il était alors assigné à résidence à Moscou sous surveillance policière. Cette année, le cinéaste russe, qui semble avoir un effet de poil à gratter auprès du régime de Vladimir Poutine, a une fois de plus été empêché de se déplacer, car les autorités lui interdisent la sortie du pays. En guise de soutien, une chaise est restée libre au Grand Théâtre Lumière lors de la projection officielle de La fièvre de Petrov, film qu’il a dû tourner de nuit. De nombreux invités ont porté un badge rouge aux initiales « KS », y compris le président du festival, Pierre Lescure, et le délégué général, Thierry Frémaux. La fièvre de Petrov est un long délire hallucinatoire découlant d’une forte fièvre dont est atteint un auteur de bande dessinée. Quand on voit ce fameux Petrov, très grippé, descendre d’un bus et être immédiatement entraîné vers un peloton d’exécution improvisé, on comprend que Serebrennikov n’a pas envie de faire dans la dentelle. Son portrait devient d’autant plus puissant qu’il évoque aussi l’ère soviétique à travers un évènement vécu dans l’enfance, banal en apparence, qui a pourtant laissé des traces. Tout n’est pas d’égale valeur dans ce cocktail explosif aux accents trash, mais la charge est très forte.