Le mot slam fait partie du vocabulaire depuis deux décennies, mais cet art alliant poésie et performance demeure dans l’ombre. Avec Je slame, tu slames, le réalisateur Jean Fugazza met en lumière cette scène underground et ceux qui lui donnent son souffle.

On vante volontiers les artistes de la chanson ou du cinéma d’ici qui se font remarquer dans des compétitions internationales, même s’ils n’y remportent pas les grands honneurs. On fait toutefois peu de cas du slam québécois, qui a pourtant produit trois champions du monde : Amélie Prévost (2016), Simon Landry (2013) et David Goudreault (2011).

Jean Fugazza, le réalisateur du documentaire Je slame, tu slames, présenté lundi à Unis TV, ne savait rien de tout ça lorsque, en 2016, il a accompagné un ami à une prestation du Grand Slack. De la poésie, il gardait des souvenirs ennuyés de ses années d’école. Du slam, il ne connaissait que Grand Corps Malade, qui ne le passionnait pas non plus.

Mais ce soir de 2016, il est littéralement « soufflé » par la verve du Grand Slack et de son invitée, Amélie Prévost. L’idée de braquer sa caméra sur cet univers lui vient sur-le-champ. Par souci de combler un vide – il n’existe à peu près rien sur le slam québécois – et par envie de faire partager son enthousiasme.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Jean Fugazza, réalisateur du documentaire Je slame, tu slames

J’ai fait ce documentaire pour faire connaître ces artistes. Dans l’espoir que les gens les découvrent et qu’ils aient envie d’aller à une soirée pour les écouter.

Jean Fugazza, réalisateur du documentaire Je slame, tu slames

Le slam est underground, mais il est répandu : la Ligue québécoise de slam, fondée par Ivy, existe depuis 2006 et des compétitions se tiennent aussi dans huit régions de la province.

Lutte poétique

Parler de slam, c’est parler d’un art qui défie les étiquettes. Pour les puristes, c’est essentiellement une compétition oratoire avec des règles précises : une scène, un texte d’au maximum trois minutes, dit sans accompagnement musical ni accessoire, et un jury composé de membres du public. Vu sous cet angle, Grand Corps Malade, le plus célèbre slammeur de la francophonie, est un usurpateur.

Les moins rigides résumeront cet art comme le fait David Goudreault : « Un bon poème, avec une bonne performance. »

Je slame, tu slames suit plutôt cette voie : il montre cet art poétique dans ce qu’il a de vaste, de polyvalent et de rassembleur. Le slam est une discipline artistique plutôt sportive et de haut niveau où la scène est en effet ouverte à tout le monde.

Jean Fugazza voit par ailleurs un lien entre le slam et l’improvisation. « L’idée est de faire en sorte que les gens puissent passer une bonne soirée, résume-t-il. Chaque performance dure trois minutes. S’il y a un univers qu’on n’aime pas, on sait que tout de suite après on passe à un autre. On passe d’un texte dramatique à un texte humoristique, d’une prise de position politique à un poème pur. On assiste à une performance multi-émotionnelle et c’est ce que j’ai essayé de faire sentir. »

Sa caméra se pose sur plusieurs des slammeurs, mais en particulier sur Thomas Langlois, qu’il accompagne jusqu’à la Coupe du monde de slam de 2018 à Paris, où il finira deuxième. Chemin faisant, il présente à la fois l’étendue des univers poétiques de ces artistes de la parole performée et l’authenticité de cette pratique. Et c’est l’une des plus belles choses qui est montrée dans ce film : l’engagement authentique de gens d’horizons et d’univers sociaux divers.

Le slam n’a ni genre ni âge. Il n’a pas non plus de métier : ses adeptes ne sont pas forcément des artistes de métier. Il n’y a pas d’industrie du slam. Que des gens qui croient au pouvoir des mots qui font image. Seulement un art vivant, pratiqué sans le snobisme qui peut exister dans les cercles littéraires.

« N’importe qui peut monter sur scène et dire son texte », insiste le réalisateur de Je slame, tu slames. Et c’est une chance à saisir, dit Thomas Langlois, dans le documentaire : « Y a pas beaucoup de contextes dans la vie où on va te dire : t’as une scène, on a le goût de t’entendre et tu peux dire ce que tu veux. »

Je slame, tu slames, lundi, 21 h, à Unis TV