De retour à Berlin, deux ans après avoir présenté Répertoire des villes disparues en compétition officielle, Denis Côté présente Hygiène sociale, essai cinématographique enthousiasmant et, disons-le, carrément réjouissant. Memory Box est par ailleurs un beau film sur la mémoire d’une famille libanaise installée à Montréal.

Depuis lundi, la 71e Berlinale se déroule virtuellement à huis clos, dévoilant sa sélection uniquement aux professionnels et aux journalistes accrédités. Cette première partie du festival se déroule jusqu’à vendredi, jour de l’annonce du palmarès. La deuxième aura lieu en juin, et le public sera alors invité dans les salles de la capitale allemande. Fait inusité cette année, le jury chargé d’attribuer l’Ours d’or est composé de six cinéastes, tous d’anciens lauréats de la récompense suprême berlinoise. La Roumaine Adina Pintilie (Touch Me Not, 2018), la Hongroise Ildikó Enyedi (On Body and Soul, 2017), la Bosniaque Jasmila Žbanić (Grbavica, 2006), l’Iranien Mohammad Rasulov (There Is No Evil, 2020), l’Israélien Navad Lapid (Synonymes, 2019) et l’Italien Gianfranco Rosi (Fuocoammare, 2016) auront ainsi la tâche, sans que personne n’ait le titre de président, de départager les 15 longs métrages sélectionnés dans la compétition officielle.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Denis Côté, réalisateur de Hygiène sociale

Le nouveau film de Denis Côté, Hygiène sociale, est inscrit dans le programme Encounters, une nouvelle section, aussi compétitive (le jury, distinct, est composé de trois personnes), réservée à des œuvres aux propositions formelles ou narratives différentes. Il a été présenté en primeur mondiale mardi.

Il appert que cet essai cinématographique, tourné avec trois bouts de ficelle l’été dernier en pleine pandémie, uniquement pour le plaisir de la chose, est réjouissant. L’un des meilleurs de l’auteur de Vic+Flo ont vu un ours.

Bien sûr, il faut d’abord se faire à la manière. Comme entrée en matière, un plan fixe. Qui le restera pendant près de 15 minutes. Deux personnages se tiennent debout dans une clairière, à très bonne distance. Même si ce parti pris, déjà établi au moment de l’écriture, il y a six ans, n’a rien d’un compromis de mise en scène dû aux circonstances, il se révèle néanmoins drôlement approprié. Quand Solveig (Larissa Corriveau), mains constamment sur les hanches, commence à enguirlander son frère Antonin (Maxim Gaudette) pour lui adresser des reproches, le ton déclamatoire qu’elle emprunte surprend. Les dialogues du film seront entièrement livrés sur ce ton théâtral, mis à part un petit décrochage de quelques secondes, le temps de laisser tomber par dépit deux jurons québécois bien sentis.

Riches d’atmosphères

Divisé en six longs plans-séquences que viendront ponctuer quelques scènes de transition, le récit est construit de telle sorte que cinq femmes viennent tour à tour discuter avec Antonin, apprenti cinéaste qui gagne sa croûte en faisant des vols, chacune tentant de faire entendre « raison » à un homme dont l’esprit n’a que faire des conventions. En plus de la sœur, il y a l’épouse, Églantine (Evelyne Rompré), qu’Antonin « aime encore, comme une bonne tasse de lait chaud », Cassiopée (Eve Duranceau), la femme convoitée qui se refuse à lui, Rose (Kathleen Fortin), dépêchée par le ministère du Revenu, et Aurore (Éléonore Loiselle), victime de l’un des larcins d’Antonin, venue récupérer son bien.

Hygiène sociale repose d’abord et avant tout sur les dialogues, finement écrits, souvent drôles – « Ça me casse l’humeur ! » pourrait aisément s’infiltrer dans nos expressions favorites –, mais se révèle aussi être un film riche d’atmosphères. À cet égard, l’environnement sonore de ce long métrage tourné en pleine nature ajoute parfois une touche d’humour plus souterraine. Des corbeaux se font entendre en présence de Solveig. Quand Rose est là, on construit apparemment des choses dans les environs. Tout ce travail sur le son n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui qu’on retrouvait dans Bestiaire…

Et puis, Maxim Gaudette, qui est pratiquement de tous les plans, est formidable, tout autant que l’ensemble de la distribution. Sans cette qualité de jeu, jamais cette entreprise casse-gueule n’aurait pu être aussi réussie. Hygiène sociale sera évidemment présenté au Québec au cours de l’année, mais aucune date de sortie n’est encore annoncée.

De Montréal à Beyrouth

Dans Memory Box, film franco-libanais coproduit avec la société québécoise micro_scope (My Salinger Year), Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (Je veux voir) abordent le souvenir de la guerre du Liban, qu’ils ont tous deux vécue adolescents, à travers trois femmes de générations différentes.

Mère, fille et petite-fille étant installées à Montréal, les scènes d’hiver sont très présentes. On s’apprête d’ailleurs à célébrer les fêtes de fin d’année.

Le cours normal des choses bascule quand une grosse boîte, venue du Liban, est expédiée à Maia (Rim Turkhi). Cette dernière vient d’hériter sans avoir été prévenue de son amie d’adolescence, morte récemment. Il y a là les photos, correspondances et documents sonores que les deux amies se sont échangés quand, au cours des années 1980, l’une d’elles a suivi sa famille en France pendant que l’autre restait à Beyrouth.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Clémence Sabbagh, Paloma Vauthier et Rim Turkhi dans Memory Box, film de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige.

Le récit de ce beau film est construit autour de la curiosité d’Alex (Paloma Vauthier), elle-même une ado, qui, ne connaissant rien du passé de sa mère, tente de comprendre le refus catégorique de cette dernière de plonger dans ses souvenirs, tout autant que la réticence de Téta (Clémence Sabbagh), qui a aussi vécu les mêmes évènements.

Inspiré par les propres souvenirs de la coréalisatrice Joana Hadjithomas, Memory Box se distingue par son approche sur le plan artistique, notamment dans sa reconstitution d’époque. Cette façon d’aborder une tragédie collective à travers le destin de ces trois femmes, en évoquant leur capacité de résilience, est aussi bien amenée.

Sélectionné en compétition officielle à la Berlinale, Memory Box sera distribué au Québec par les Films Opale.