(Venise) Absente depuis deux décennies du festival de Venise, la Côte d’Ivoire fait un retour remarqué cette année avec La nuit des Rois, un objet cinématographique non identifié aux confins de la tragédie grecque, du conte des 1001 nuits et de l’univers griot.

Le cinéaste Philippe Lacôte a choisi pour cadre la MACA (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan), décrite par un des personnages comme « la seule prison du monde dirigée par un détenu », en l’occurrence Barbe-Noire. Qui sent sa mort approcher et désigne un jeune détenu, Roman, pour raconter un conte jusqu’au bout de la nuit illuminée par une lune rousse.

Roman, incarné par Koné Bakary dont c’est le premier rôle sur grand écran, choisit de conter la vie tragique de Zama King, leader de la bande criminelle des Microbes.

« Zama, c’est un personnage réel, un chef de gang qui a existé à Abidjan et été lynché après avoir commis de nombreux crimes », confie Philippe Lacôte, dont le précédent long métrage Run a été sélectionné en 2014 à Cannes à Un certain regard.

« Les microbes, ce sont ces gangs de jeunes âgés de 8 à 18 ans qui sèment la violence dans les quartiers populaires d’Abidjan en attaquant à la machette et au couteau [...] Aujourd’hui, ils sont utilisés par le pouvoir en place comme milice pour mater les oppositions », explique-t-il dans un entretien avec l’AFP sur le Lido de Venise.

Mais attention, La nuit des Rois n’est pas un documentaire : la danse et les chants des chœurs de détenus, les sauts dans l’histoire de royaumes africains imaginaires, ou encore la magie de l’univers griot sont invités tour à tour par le réalisateur pour transporter le spectateur dans un tourbillon universel et poétique.

« Jeunesse instrumentalisée »

La violence est aussi omniprésente dans cet univers carcéral de la MACA que Philippe Lacôte, qui a grandi à Abidjan, connaît « depuis longtemps et qui fait partie de (son) imaginaire ». « C’est une prison où j’allais quand j’étais gamin parce que ma mère y était incarcérée pour des raisons politiques. J’ai aussi eu des amis de mon quartier dans cette prison et certains y sont morts ».

Avec ce film présenté à Venise dans la section parallèle Orizzonti (Horizons), le cinéaste ivoirien veut « montrer cette jeunesse prise dans un étau politique ». « La Côte d’Ivoire depuis (l’arrivée au pouvoir du père de l’Indépendance, le président Félix) Houphouët-Boigny est un pays qui est “surpolitisé”, avec des guerres de succession qui ressemblent à celle qu’il y a dans la MACA et qui ne s’arrêtent jamais ».

« On a beaucoup de leaders qui convoitent le pouvoir, qui sont liés à des groupes ethniques, donc c’est quelque chose de difficile à démêler », observe Philippe Lacôte, auteur en 2008 du documentaire Chroniques de guerre en Côte d’Ivoire.

Des images d’actualités, comme celles de l’arrestation de l’ancien président Laurent Gbagbo, viennent d’ailleurs s’incruster dans La nuit des Rois, comme un pont entre le monde confiné de la prison, allégorie des rapports de pouvoir, et la vie du dehors, son triste reflet.

Face à la situation politique confuse dans son pays, où une élection présidentielle se tiendra le 31 octobre, le cinéaste note qu’« aujourd’hui c’est la jeunesse qui est instrumentalisée dans ce conflit ».