Six ans après son court métrage Imelda, le cinéaste Martin Villeneuve a renfilé ses robes et sa perruque de cheveux blancs pour interpréter sa grand-mère paternelle. Sans le soutien des institutions, Villeneuve est parvenu à donner vie à son œuvre, dont il tient la vedette aux côtés de Robert Lepage et de Ginette Reno. La Presse en présente un extrait en primeur.

La suite d’Imelda devait être un long métrage. C’est ainsi que Martin Villeneuve l’avait initialement imaginée, en 2014. Mais après avoir déposé ses demandes d’aide financière à la SODEC et à Téléfilm l’année suivante, il s’est heurté à un mur. Un mur qu’il n’a jamais réussi à faire tomber, malgré ses multiples tentatives.

« C’est déroutant parce que tu passes cinq ans à écrire un nombre invraisemblable de versions, seulement pour te plier aux exigences des institutions et pour leur plaire, mais, en retour, tu ne vois pas ton projet aboutir », confie Martin Villeneuve au téléphone.

Appuyé par la productrice Nicole Robert, de Go Films, qui a pu dénicher du financement en développement, le projet de film avait déjà ses têtes d’affiche : Robert Lepage, Ginette Reno et Villeneuve lui-même, qui interprète sa grand-mère. 

Ne pas attendre

Sans vraiment connaître les raisons du refus des institutions, sans arriver à avoir les moyens de ses ambitions autrement qu’à travers le système étatique, Martin Villeneuve s’est laissé convaincre par son frère aîné, Denis, de tourner quand même. 

Il faut dire qu’avant de devenir une star à Hollywood, le réalisateur de Blade Runner 2049 et Dune a lui-même dû prendre son mal en patience… « Il a attendu pendant neuf ans [entre son deuxième et son troisième long métrage], et ça l’a fait beaucoup souffrir », raconte Martin Villeneuve.

Le scénariste, qui a reçu du financement des institutions pour la dernière fois en 2009, ne veut pas se poser en victime. Il sait qu’il est loin d’être seul dans sa situation. Mais il tient à « rester dans l’action », explique-t-il, plutôt que de poireauter.

Alors, il l’a fait, son Imelda. Plutôt qu’un long métrage, il a tourné un second court. Un antépisode (prequel) au premier. On y retrouve la vieille dame qui n’a pas la langue dans sa poche dans le village de Gentilly (où Martin et Denis Villeneuve sont nés), 11 ans plus tôt. C’est l’automne 2001, et Imelda a 90 ans. Villeneuve s’intéressait à son point de vue sur le tournant du millénaire, elle qui avait vécu le XXe siècle.

La force de la collaboration

Le cinéaste s’est toujours intéressé à sa grand-mère paternelle. Une fascination qui l’a mené à tourner le premier Imelda. Un court métrage sous forme de capsules, des fenêtres sur sa vie et ses idées, imaginé d’abord pour amuser sa famille. « C’était aussi un hommage, un an après sa mort, raconte Martin Villeneuve. On avait tourné ça en une journée. Ça avait fait beaucoup rire ma famille. Ensuite, ça a fait rire d’autres gens. Puis, ça a commencé à jouer en festival et ça a connu un certain succès. »

La petite équipe du premier projet (cinq personnes) a accepté l’an dernier de travailler sur la suite. Chacun des artisans a joint ses amis du milieu, qui ont accepté de prendre part à la petite aventure de trois jours. Tous bénévolement. À 18 sur le plateau, grâce à des commandites pour les équipements et en gardant les décors les plus simples possible, tout a fini par se mettre en place.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le cinéaste Martin Villeneuve a tourné le premier court métrage Imelda sous forme de capsules, fenêtres sur sa vie et ses idées, imaginé d’abord pour amuser sa famille.

Ça m’a beaucoup touché parce que, après toute l’énergie dépensée pour un projet qui n’arrivait pas à aller de l’avant, j’ai découvert une autre façon de faire du cinéma.

Martin Villeneuve, réalisateur

« Ce n’est pas un modèle très viable à long terme, mais pour ce que je voulais faire avec Imelda, ça s’y prêtait très bien, poursuit le cinéaste. La générosité des gens vaut toutes les subventions du monde. »

Ginette Reno et Robert Lepage

Villeneuve a fait le deuil de son script initial. « Je n’avais pas préparé de scénario pour le premier, c’était un acte spontané, dit-il. J’ai voulu recréer ça. […] J’avais l’[occasion] de tourner avec Robert Lepage et Ginette Reno, deux grands acteurs qui ont accepté de me donner une journée de leur temps. » 

Il s’est demandé ce qu’il pourrait faire de plus pertinent avec ce précieux temps. Il fallait faire chanter Ginette. Et faire réciter un peu de poésie à Robert. « J’ai trouvé dans la mythologie de ma famille ce qui pouvait résonner à ce niveau-là [pour le raconter dans le film] », explique-t-il.

Pour la première fois, Martin Villeneuve a donné la réplique à d’autres acteurs. Robert Lepage interprète le fils notaire d’Imelda, le père du cinéaste. Ginette Reno joue sa grand-mère maternelle, la rivale de toujours d’Imelda.

Éviter le pire

Martin Villeneuve avait été convié, en 2013, à prendre la parole à une conférence TED à propos de son futuriste Mars et Avril, ambitieux long métrage de science-fiction créé sans grands moyens. Dans son allocution, il avait décrit combien chaque obstacle sur sa route était devenu une occasion de créer. 

Avec la suite d’Imelda, il a de nouveau eu à saisir le positif dans l’adversité.

« Ce n’est pas facile. J’étais très attaché à l’idée de ce long métrage, je trouvais que je le méritais. Mais c’est important de rester en mode solution. Le pire pour un cinéaste, c’est de ne pas tourner. C’est la mort. »

Martin Villeneuve a évité le pire. Pour que d’autres artistes y échappent, « cinéastes et producteurs doivent réfléchir, ensemble, à d’autres façons de produire du contenu » au Québec, affirme-t-il. « La situation ne va pas aller en s’améliorant. Ça ne donne rien de s’asseoir et de chialer. Il faut voir en dehors du moule. »

Le second opus d’Imelda sera terminé au printemps 2020.