Même si les salles de cinéma ont été fermées pendant six mois en 2020, même si les grands studios n’ont pratiquement rien pu mettre de consistant à l’affiche, malgré l’absence de films attendus comme Dune (Denis Villeneuve), The French Dispatch (Wes Anderson), West Side Story (Steven Spielberg) ou Souterrain (Sophie Dupuis), dont les sorties ont dû être décalées en 2021, l’étrange année cinéma que nous venons de traverser nous a quand même offert assez de beaux films pour nous permettre de poursuivre la tradition. Voici la liste des 10 longs métrages de 2020 qui me resteront en mémoire.

1 – Nomadland, de Chloé Zhao (États-Unis)

Réalisée par Chloé Zhao (The Rider), cette adaptation du livre de Jessica Bruder donne l’occasion à Frances McDormand d’offrir une autre performance remarquable. D’une certaine façon, Nomadland est la célébration d’un certain mode de vie, né de la nécessité de survie dans le monde hyper performant et hyper compétitif de l’Amérique du XXIe siècle. La cinéaste se garde pourtant bien de proposer une vision idyllique, même si cette traversée du continent, du Dakota du Sud jusqu’à la Californie, évoque quand même une conception mythique de l’Amérique. Cela dit, Chloé Zhao imprègne chaque image d’un humanisme profond sans rien souligner, confirmant ainsi son statut de cinéaste exceptionnelle. Lauréat du Lion d’or à la Mostra de Venise et du prix du public au festival de Toronto, Nomadland prendra l’affiche le 19 février.

PHOTO FOURNIE PAR AMAZON PRIME VIDEO

Amarah-Jae St. Aubyn et Micheal Ward dans Lovers Rock, un film de Steve McQueen.

2 – Lovers Rock, de Steve McQueen (Royaume-Uni)

Lovers Rock fait partie de la série de cinq longs métrages que le cinéaste britannique Steve McQueen (Shame, 12 Years a Slave) a regroupés sous le titre Small Axe. Ces films racontent l’histoire de communautés antillaises installées à Londres dans les années 1960 et 1980, souvent confrontées à un environnement hostile. Film essentiellement d’atmosphère, Lovers Rock, retenu dans la sélection officielle du Festival de Cannes, relate une soirée dansante libératrice, tenue obligatoirement dans un endroit privé, les boîtes « officielles » étant souvent ouvertes seulement à la population blanche. Des rapprochements subtilement évoqués, jusqu’à une danse tribale au cours de laquelle les participants entrent quasiment en transe, en passant par la colère face à l’injustice, Steve McQueen orchestre le tout de façon exceptionnelle. Même si Small Axe sera soumis pour les récompenses liées à la télé, ne nous y trompons pas, il y a dans cette série, et particulièrement dans Lovers Rock, du grand cinéma. Offert sur la plateforme Amazon Prime Video.

3 – David Byrne’s American Utopia, de Spike Lee (États-Unis)

Au-delà de l’excellent spectacle qu’a offert David Byrne au Hudson Theater à Broadway l’an dernier, il y a cette captation impeccable de Spike Lee, discret au point où son nom apparaît au générique seulement à la fin. Le théâtre dans lequel le réalisateur de BlacKkKlansman a posé ses caméras lui permet de rendre justice à l’effervescence du spectacle, et à l’enthousiasme du public qui en découle, tout en gardant un côté intimiste. En regardant American Utopia, on a un peu l’impression de faire partie des privilégiés qui étaient sur place ce soir-là. Trente-six ans après Stop Making Sense, un classique du film musical, l’ancien leader des Talking Heads est au centre d’un autre film musical tout aussi marquant, rien de moins qu’un modèle du genre. David Byrne’s American Utopia est offert sur la plateforme de Crave.

4 – Le jeune Ahmed, de Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne (Belgique)

Les frères Dardenne, qui signent ici leur 11e long métrage de fiction, sont parvenus à aborder le thème de la radicalisation sans tomber dans le didactisme ou la démonstration, en se tenant au plus près de leur jeune protagoniste. Fidèles à leur style naturaliste, les cinéastes se posent plutôt ici en observateurs. Ils tentent de comprendre comment un jeune garçon âgé de 13 ans vivant en Belgique, entouré d’une famille musulmane bienveillante et d’éducateurs engagés, peut se radicaliser au point de vouloir éliminer les « mécréants ». L’histoire de ce garçon (formidable Idir Ben Addi), qui élimine tout le réseau intime et social qui l’entoure pour ne plus entendre que la parole d’un imam intégriste, est poignante de bout en bout. D’autant que les Dardenne, lauréats du prix de la mise en scène à Cannes l’an dernier, allient la finesse de leur regard à la puissance de leur style. Offert sur iTunes (Apple TV) et Illico.

5 – Été 85, de François Ozon (France)

Même s’il emprunte les codes du film d’adolescent dans cette adaptation du roman d’Aidan Chambers Dance on my Grave, François Ozon aborde ici des thèmes qui jalonnent son cinéma depuis toujours. La liaison amoureuse entre deux garçons permet au réalisateur de Grâce à Dieu de proposer un film ensoleillé, rempli de musique et d’insouciance, où l’on sent pourtant que tout peut basculer d’un moment à l’autre. François Ozon effectue ici comme un retour aux sources, en posant sur sa propre adolescence un regard d’homme – et de cinéaste – plus mûr. Et c’est très beau. Été 85 est offert à la location sur les plateformes du Cinéma Beaubien, du Cinéma du Musée et du Cinéma du Parc.

6 – Je m’appelle humain, de Kim O’Bomsawin (Québec)

Ce long métrage documentaire est remarquable à tous points de vue. À travers le parcours de la poétesse innue Joséphine Bacon, et l’incessante quête de cette dernière pour faire vivre sa langue et sa culture, la cinéaste Kim O’Bomsawin nous offre rien de moins qu’un moment privilégié. En revenant sur les grands évènements de sa vie, en retrouvant aussi les endroits marquants de son existence, y compris son arrivée à Montréal, Joséphine Bacon raconte son histoire, intimement liée à celle des Premières Nations, intimement liée aussi à un territoire abritant des cultures dont nous ignorons l’existence. Claude Lelouch a souvent dit que rien n’était plus passionnant à filmer que le visage d’une personne ayant vécu. La façon dont Kim O’Bomsawin filme celui de Joséphine Bacon lui donne raison. Offert sur les plateformes du Cinéma Moderne, du Cinéma Beaubien et Illico.

7 – Never Rarely Sometimes Always, d’Eliza Hittman (États-Unis)

Eliza Hittman (Beach Rats) possède ce talent de traduire en images des émotions que ses personnages sont souvent incapables d’identifier eux-mêmes, encore moins de les verbaliser. Grâce à une caméra des plus attentives, la cinéaste offre un film qui, à sa manière, s’inscrit dans la mouvance d’œuvres comme 4 mois, 3 semaines et 2 jours, de Cristian Mungiu, ou même Sonatine, de Micheline Lanctôt. Never Rarely Sometimes Always, lauréat du Grand Prix au festival de Berlin, relate le parcours d’une adolescente de 17 ans qui, pour avoir accès à un avortement sans consentement parental, doit se rendre à New York. Sans insister lourdement, le drame intime évoqué dans ce film comporte un volet social et politique indéniable, traité avec délicatesse et sensibilité. Offert sur Illico, Crave, iTunes et YouTube.

8 – Let Them All Talk, de Steven Soderbergh (États-Unis)

Steven Soderbergh retrouve la forme grâce à Let Them All Talk, un film de facture légère en apparence, qui creuse pourtant avec un regard très fin des thèmes aussi inépuisables que la création, la notion de licence artistique, et la nature des liens d’amitié. Tournée sur le Queen Mary 2 lors d’une véritable traversée de l’Atlantique qu’a effectuée le paquebot, cette comédie dramatique met de surcroît en valeur le talent de trois comédiennes exceptionnelles : Meryl Streep, Candice Bergen et Dianne Wiest. La première incarne une écrivaine allant cueillir un prix littéraire en Angleterre, les deux autres, des amies de jeunesse qui ne se sont pas vues depuis 35 ans. En version originale anglaise sur Crave ; en version française (Laissez-les parler) sur Crave en français à compter du 15 janvier, et à Super Écran à compter du 16 janvier.

9 – Lumière ! L’aventure commence, de Thierry Frémaux (France)

Même si Thierry Frémaux n’avait fait qu’aligner dans son programme cette centaine de petits films Lumière restaurés, d’une durée d’environ 50 secondes chacun, son long métrage aurait déjà été un pur ravissement. Or, le réalisateur a fait bien davantage. Ce film est enrichi d’un commentaire éclairant, qui met en perspective la démarche admirable des Lumière ayant mené à l’invention du cinéma, tant sur le plan technique qu’artistique. Là se situe d’ailleurs la force de ce documentaire qui devrait fasciner quiconque s’intéresse au 7e art. Thierry Frémaux, qui dirige l’Institut Lumière de Lyon en plus d’être le délégué général du Festival de Cannes, se révèle être un guide hors pair. Sa narration, bien écrite, est précise, captivante, jamais encombrante, et le réalisateur emprunte un ton à l’avenant. Ce document historique précieux est offert sur la plateforme du Cinéma Beaubien.

10 – L’acrobate, de Rodrigue Jean (Québec)

Bon d’accord, ce choix est un peu « champ gauche ». Il n’empêche que rarement la force brute d’une attirance incontrôlable entre deux êtres, dont la nature va bien au-delà de la raison, n’a été évoquée de cette façon dans un film québécois. Dans ce drame intime aussi troublant que provocant, dont les têtes d’affiche sont Sébastien Ricard et Yury Paulau, deux êtres, en crise chacun à leur manière, plongent aussi dans les arcanes plus secrets d’une certaine psyché masculine, que Rodrigue Jean n’hésite pas à révéler. Il est à noter que ce film au rythme lent, qui prend bien soin d’installer ses atmosphères, est aussi visuellement splendide. En plus de traduire l’aspect très charnel de ce récit campé en hiver (les scènes sexuellement explicites sont jouées par des doublures), L’acrobate évoque aussi la nouvelle architecture, plus froide et anonyme, de Montréal. Offert sur la plateforme Vimeo.