Des artisans québécois du cinéma font partie de l’Académie des arts et des sciences du cinéma, qui attribue les Oscars. À ce titre, ils participent aux votes désignant les candidats aux fameuses statuettes. La Presse a discuté de ce travail avec quelques intéressés. Ils sont unanimes à dire que ce rôle est un privilège. Et qu’il demande du temps. Beaucoup de temps.

L’automne dernier, la cinéaste et comédienne Marianne Farley a regardé 121 courts métrages de fiction admissibles à l’obtention d’un Oscar dans cette catégorie. Elle aurait pu aller plus loin, puisque 191 œuvres étaient sur la ligne de départ, pour ensuite être ramenées à 10 sur la courte liste et à 5 finalistes.

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Marianne Farley

« J’ai pris ça au sérieux, dit Mme Farley, qui a été invitée à rejoindre les rangs de l’Académie après avoir été finaliste, avec son court métrage de fiction Marguerite, à la soirée des Oscars de 2019. J’ai passé moins de temps à dormir et plus à regarder des films. Et durant le temps des Fêtes, j’ai visionné les 10 longs métrages encore sur la courte liste pour l’Oscar du meilleur film international. J’étais curieuse de voir comment fonctionnait ce processus de sélection et j’avais envie de regarder plein de films extraordinaires. »

Marie-Hélène Panisset, qui a produit le film de Mme Farley, n’a pas eu l’occasion d’accorder autant de temps à ce travail. « J’avais un job à temps plein et je suis monoparentale. J’en ai regardé quelques-uns pour ensuite m’arrêter. C’est un travail énorme. Maintenant que je sais comment ça fonctionne, je saurai comment m’organiser l’an prochain. »

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Marie-Hélène Panisset

Cette évocation du temps à investir à titre de membre votant aux Oscars, La Presse l’a entendue chez les sept personnes interviewées pour ce reportage. Toutes conviennent que le fait d’être membre de l’Académie est un privilège. Mais pour voter, il faut prévoir du temps. En plus de payer une cotisation annuelle de quelques centaines de dollars.

« Les coûts pour être membre ont augmenté il y a quelques années, relève la réalisatrice Torill Kove, lauréate de l’Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2007 avec Le poète danois, œuvre coproduite par l’Office national du film. Parfois, je me dis que je vais sauter une année, mais je ne le fais pas. »

Dans l’animation, j’ai le sentiment d’avoir un impact avec mes choix. C’est peut-être incroyablement naïf, mais j’ai le sentiment que mon vote compte.

Torill Kove

Comme l’écrit notre collègue Marc-André Lussier (voir écran 3), les adhérents à l’Académie sont inscrits dans l’une de ses 17 sections. Au premier tour, destiné à déterminer les nommés de la présélection, ils votent dans leur section, où ils ont accès à tous les films. Ils n’ont pas à les voir tous, mais le seuil minimal est élevé.

Les films peuvent être visionnés sur le portail des Oscars (une nouveauté), en DVD ou, pour ceux qui peuvent se déplacer, en salle lors de séances tenues à Los Angeles, New York et Londres. On peut aussi les avoir vus en festival ou à son cinéma de quartier.

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Denise Robert

« Je passe presque tous mes week-ends au cinéma, lance la productrice Denise Robert, membre depuis 2004, année où le film Les invasions barbares, réalisé par son conjoint Denys Arcand et qu’elle a produit, a récolté l’Oscar du meilleur film étranger.

Je me fais un devoir de regarder tous les films que je peux en salle. Il m’importe de voir les films sur le support pour lesquels ils ont été faits, c’est-à-dire les salles de cinéma.

Denise Robert

Pour avoir habité à Los Angeles, le producteur Roger Frappier, membre depuis 1992, conserve un excellent souvenir des projections en salle, notamment au théâtre Samuel-Goldwin de l’Académie. « Tous les soirs, après la projection, vous avez une séance de questions et réponses avec le réalisateur, le scénariste ou des comédiens, lance le coproducteur du Déclin de l’empire américain et de Jésus de Montréal, deux films de Denys Arcand finalistes aux Oscars. C’est toujours un moment formidable. »

À l’abri des influences, mais…

Foi de Roger Frappier, ces rencontres après les projections constituent la frontière de l’influence que les studios peuvent exercer sur les votants. Il n’y a pas de cadeaux, de séjours dans les Bahamas, de rencontres privées ou d’autres tactiques permises pour faire le plein de votes.

« Il y a eu une époque où il y avait plus de lobby, mais c’est terminé », assure Denise Robert. Torill Kove approuve. « Je suis allée quelques fois à des projections à New York. Or, souvent, on échange avec des finalistes durant les pauses, mais ils n’en parlent pas. Je n’ai jamais senti de lobby. C’est considéré comme un manque de classe. »

En revanche, le poids que peuvent avoir les membres gravitant directement dans le pôle hollywoodien peut avoir une influence sur la désignation d’un gagnant, fait remarquer Marc Bertrand, de l’ONF, qui a produit deux films, les courts métrages d’animation Dimanche, de Patrick Doyon, et Vaysha l’aveugle, de Theodore Ushev, finalistes aux Oscars.

Le concours des Oscars est très centré sur Hollywood. Une grande partie des membres votants vivent dans la région d’Hollywood.

Marc Bertrand

« Alors, lorsque vous avez de nombreux membres qui travaillent chez Disney ou sa branche Pixar qui votent pour un court métrage fait par Disney, les chances sont fortes que celui-ci récolte plus de votes que l’œuvre d’un producteur indépendant ou d’une maison comme l’ONF. »

La diversité en route

Et la diversité, là-dedans ? Les gens qui travaillent dans le court métrage ont le sentiment que les controverses à la #oscarssowhite ou sur l’absence des femmes à la réalisation sont moins présentes dans leur catégorie.

C’est le cas de la productrice Maria Gracia Turgeon, que La Presse a jointe à Los Angeles, où elle se trouve en ce moment puisqu’un de ses films, Brotherhood, de Meryam Joobeur, est finaliste dans la catégorie des courts métrages de fiction.

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La cinéaste Meryam Joobeur et la productrice Maria Gracia Turgeon

Elle nous dit : « C’est dans les sections des courts métrages de fiction et d’animation qu’on retrouve le plus de femmes, de gens de couleur et de la diversité. C’est intéressant de mettre ça en lumière. On fait confiance aux femmes pour les films à petit budget ou les premiers longs. Mais avec l’émergence des talents, les gens sont de plus en plus sensibilisés à ce que nous faisons. »

Marianne Farley reconnaît que pour le moment, « la situation n’a pas de bon sens », mais estime du même coup « que les choses sont en train de bouger ». Elle est confiante pour l’avenir. « Les gros films attirent l’attention parce qu’ils ont une machine derrière eux. Et plus souvent, ils sont faits par des hommes qui ont 5, 10, 20 films à leur actif. Je crois que plus les femmes vont faire de gros films, plus on va en entendre parler. Ça bouge lentement. Mais je vois que ça change. »

La période du vote pour désigner les gagnants de la 92e soirée des Oscars se termine le 4 février. La cérémonie aura lieu le soir du 9 février.