Cinquante-trois ans après Un homme et une femme, un film qui, en plus de la renommée internationale, lui a valu une Palme d’or au Festival de Cannes et deux Oscars à Hollywood (meilleur scénario original et meilleur film en langue étrangère), Claude Lelouch réunit Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant pour repartir sur la trace d’un amour jamais oublié dans Les plus belles années d’une vie. Nous avons joint le cinéaste à Paris.

En 1986, vous aviez déjà réuni les personnages d’Un homme et une femme, alors jeunes quinquagénaires, dans Un homme et une femme, 20 ans déjà. Y a-t-il eu un élément déclencheur particulier pour vous donner l’envie, plus de 30 ans plus tard, de les revisiter ?

L’idée est née lors d’une projection de la version restaurée d’Un homme et une femme, organisée à l’occasion du 50e anniversaire. Jean-Louis [Trintignant], Anouk [Aimée], Pierre Barouh, Francis Lai étaient là. Pendant la séance, je ne regardais pas l’écran, mais plutôt Jean-Louis et Anouk en train de regarder le film, assis côte à côte. Ils riaient, s’amusaient, se prenaient la main, se parlaient à l’oreille. Je trouvais cela absolument magnifique. Je me suis dit qu’il me fallait filmer ce temps qui n’a pas de prise, et montrer à quel point les histoires d’amour donnent un sens à la vie. J’avais aussi envie de voir cet homme demander pardon à cette femme, à côté de laquelle il est passé. Nous avons tous vécu une histoire d’amour un peu plus forte que les autres, qui laisse un peu plus de traces. C’est celle-là que j’ai essayé de filmer.

Est-ce que l’idée d’un nouveau long métrage reprenant les mêmes personnages était d’emblée séduisante pour tout le monde ?

Au départ, nous avons eu très peur. Nous avions peur de gâcher un beau souvenir, peur de foutre en l’air un film magique. Puis, j’ai progressivement été convaincu du contraire. Je me suis dit qu’il fallait montrer la force du présent, qu’il fallait montrer à quel point, peu importe son âge, le présent a toujours raison sur le reste. Là est le sujet de ce film. Je crois fermement à cette phrase de Victor Hugo : « Les plus belles années d’une vie sont celles que l’on n’a pas encore vécues. » J’ai 82 ans maintenant. Je trouve que toutes les années qui s’ajoutent, même si elles sont plus compliquées, sont passionnantes. La vie est un jeu à la fois cruel et merveilleux et cette alternance entre les deux fait en sorte qu’on se donne beaucoup de mal pour ne pas mourir. Je voulais aussi montrer qu’on peut aimer à tout âge, pas seulement quand on est jeune, qu’il y a mille et une façons différentes d’exprimer l’amour.

Comment avez-vous pu convaincre Jean-Louis Trintignant de revenir au cinéma, lui qui avait annoncé une retraite définitive après Amour, le film de Michael Haneke ?

Je lui ai dit que tant que son cœur battait, il restait un acteur. Et puis, même s’il ne faisait plus de cinéma, Jean-Louis continuait à donner des spectacles sur scène en livrant des textes poétiques. J’ai eu beaucoup de mal à le convaincre de revenir jouer devant une caméra, mais il a finalement accepté quand je lui ai dit que nous allions tourner très rapidement, en peu de jours. Je lui ai aussi promis que si le film n’était pas à la hauteur de notre désir, on ne le sortirait pas. J’ai pris cet engagement envers Anouk aussi. Donc, le seul risque pour nous était de nous amuser et de passer quelques beaux jours ensemble. Anouk et Jean-Louis ont été bouleversés quand ils ont vu le résultat.

On dit que Les plus belles années d’une vie a été tourné en une dizaine de jours à peine. Il est pourtant traversé de quelques moments de grâce…

Ce film relève un peu du miracle, dans la mesure où il fallait d’abord que Jean-Louis, Anouk et moi résistions au temps qui passe. Je crois que c’est la première fois dans l’histoire du cinéma qu’un metteur en scène retrouve ses comédiens 53 ans plus tard avec les mêmes personnages. J’ai essayé de filmer cette magie. J’ai en tout cas senti qu’il se passait quelque chose. Je ne voulais pas non plus d’un film habituel, avec des comédiens qui font semblant. Le récit repose plutôt sur des moments de spontanéité entre eux, alors que je leur souffle des répliques déjà très écrites. Je ne voulais pas qu’ils apprennent le texte par cœur, car quand on dit des choses importantes, il faut le faire avec légèreté, sans en avoir conscience. Et puis, Jean-Louis est resté un galopin. Je les ai filmés tous les deux comme on filme des enfants, en fait. Cette spontanéité fait la force du film, je crois.

Les plus belles années d’une vie est votre 49e film. Avez-vous le sentiment d’une certaine finalité avec celui-là ?

Je dois ma liberté de cinéaste à Un homme et une femme. Son succès m’a permis d’être un homme libre et de faire les films que j’avais envie de faire, à ma manière. Je n’ai jamais réalisé de film de commande et je n’ai pas répondu non plus à l’appel des sirènes hollywoodiennes. Les plus belles années d’une vie est ainsi une façon de rendre grâce au film original, avec un hommage au passé et au présent. Pierre Barouh n’est plus de ce monde depuis trois ans, mais Francis Lai a eu le temps d’écrire les thèmes musicaux et de les faire orchestrer par Calogero. Il nous a quittés une dizaine de jours avant que le film soit fini. Et Nicole Croisille vient elle aussi fermer la boucle en quelque sorte. Vraiment, il y a là une accumulation de petits miracles. Je crois être le seul à pouvoir faire un film aussi fou.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Claude Lelouch, scénariste et réalisateur du film Les plus belles années d’une vie

Songez-vous parfois à la retraite ?

La vie étant ce qu’elle est, je n’ai pas encore reçu ma lettre de licenciement. Tant que le patron voudra me garder, je serai un employé modèle ! La vertu des impondérables va sortir en France au mois de janvier. Il s’agit d’un film que j’ai tourné entièrement avec mon portable. Ensuite, je me lancerai dans un grand film épique à l’ancienne ayant pour titre L’amour c’est mieux que la vie. Comme pour aller au bout du voyage.

Vous êtes confiant en l’avenir du cinéma ?

Je suis enthousiaste et inquiet à la fois. Grâce aux nouvelles technologies, on peut filmer encore mieux qu’avant, aller encore plus loin. En revanche, l’arrivée de toutes ces plateformes numériques me désole. J’ai été élevé dans les grandes salles de cinéma et elles ont à mes yeux le caractère sacré d’une église, comme un lieu de recueillement. On ne peut pas obtenir la même qualité d’écoute quand on regarde un film à la maison. J’ai peur que ces plateformes en viennent à tuer le cinéma.

Les plus belles années d’une vie prend l’affiche le 22 novembre.