(Hong Kong) Les histoires explorant les recoins sombres de la société chinoise moderne seront à l’honneur au 72e Festival de Cannes, soulignant la portée et la sophistication grandissante des productions du deuxième marché mondial du film.

Le thriller Le Lac aux oies sauvages de Diao Yinan — Ours d’or 2014 à Berlin avec Black Coal — fait partie des 21 films en compétition, tandis qu’un autre film policier, Summer of Changsha de Zu Feng, sera lui présenté dans la section Un certain regard.

« C’est une période passionnante », souligne Alexandre Mallet-Guy, le producteur du Lac aux oies sauvages, vantant « un film noir, très esthétique, avec une intrigue complexe », sur un chef de gang en quête de rédemption et une prostituée, se retrouvant au cœur d’une chasse à l’homme.

Ces deux films s’inscrivent dans un mouvement plus large du cinéma « continental » chinois qui repousse les limites d’une industrie sous contrôle étroit de la censure, quand il s’agit de traiter de la violence, la corruption et le sexe. Se déroulant loin des grandes métropoles chinoises, ces films font souvent la part belle à des antihéros.

Le succès au box-office d’Une pluie sans fin (The looming storm, en anglais) a prouvé que les sujets tabous sont mieux tolérés par l’administration chinoise.

Dans ce premier film de Dong Yue, récompensé du Grand prix au festival du film policier en France en 2018, le chef de la sécurité d’une usine enquête sur des meurtres de jeunes femmes, quelques mois avant la rétrocession de Hong Kong.

Autre signe de cette évolution : le thriller Black Coal de Diao Yinan, polar ultra-sombre dans une Chine glaciale mêlant femme fatale, meurtres inexpliqués et un flic solitaire voulant se racheter. Ce film à petit budget a été un succès, avec 17 millions de dollars de recettes.

« La plupart des films chinois qui s’exportent sont des films de genre, d’action et ceux à gros budget. Heureusement, une nouvelle génération et un nouveau genre de film est en train d’émerger », souligne le producteur du nouvel opus de Diao Yinan.

Les goûts changent

Quasi inexistant il y a encore vingt ans, le marché du film chinois produit aujourd’hui près de 600 films par an, avec des recettes annuelles de 8,5 milliards de dollars, derrière le marché nord-américain (11,4 milliards de recettes annuelles).

Longtemps, le public chinois s’est rué sur des films à grand spectacle produits localement, à l’instar de Wolf Warrior 2 (2017), le film chinois le plus rentable avec 870 millions de dollars de recettes.

Mais les goûts du public sont en train de changer. Pour preuve, le succès surprise en 2018 de Dying to survive de Wen Muye, sur un homme atteint de leucémie organisant un trafic de médicaments depuis l’Inde. Un film qui a rapporté 450 millions de dollars.

Passé par la tête de festivals comme Rotterdam, Locarno, Venise, Rome ou Pékin, Marco Muller a été un des premiers à faire une place au cinéma chinois à l’international.

Il s’est en outre associé en 2017 avec le cinéaste Jia Zhangke (A Touch of Sin, Les éternels en compétition l’an dernier à Cannes), pour lancer le Pingyao International film festival.

« Ce sont des films qui se vendent bien à l’international », indique Muller. « Ils sont nerveux, sombres et passionnants. Ils doivent toujours être approuvés par les différents départements du gouvernement, mais il semble que de plus en plus de cinéastes soient attirés par le film noir », un genre né dans le Hollywood des années 20, avec des histoires criminelles se déroulant souvent dans les marges de la société.

Pékin a récemment mis en place une réglementation exigeant que les réalisateurs reçoivent une autorisation avant de présenter leurs films dans les festivals, mais l’équipe du Lac aux oies sauvages affirme avoir reçu la sienne. La situation est moins claire concernant Summer of Changsha, qui aurait été en tout cas montré aux autorités.

Deux films chinois ont été déprogrammés à la toute dernière minute au festival de Berlin en février, dont One Second, le dernier opus de Zhang Yimou (Épouses et concubines).