L’été dernier, Michael Puglia est rentré chez lui au volant de ce qui lui semblait le véhicule le plus cool au monde : une camionnette électrique Ford F-150 Lightning flambant neuve.

Assez vaste pour transporter ses enfants et leurs sacs de hockey, son F-150 n’aurait jamais besoin d’essence et sa conduite était exaltante. « Il est incroyablement rapide et réactif », a dit M. Puglia, anesthésiste à Ann Arbor, au Michigan. « La technologie est incroyable. »

L’hiver refroidit les ardeurs des automobilistes

Mais quand le froid est arrivé, l’autonomie du camion a beaucoup diminué. Un jour, après un trajet de 56 km vers une patinoire, l’autonomie indiquée a chuté de 117 km. De même, un trajet de 96 km a réduit l’autonomie indiquée de 176 km.

Plusieurs mises à jour logicielles chez le concessionnaire n’ont pas réglé le problème : aujourd’hui, M. Puglia se demande s’il doit garder ce camion de 79 000 $ US.

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À mi-chemin dans l’hiver, Michael Puglia se demande s’il doit garder son F-150 électrique.

Les gens parlent de l’angoisse de la panne comme si c’était la faute du conducteur. Ce n’est pas notre faute : on n’a pas la vraie autonomie. Le camion dit 300 milles [483 km]. Je pense que je n’ai jamais obtenu ça.

Michael Puglia, au sujet de son F-150 électrique

Le rapide désenchantement de M. Puglia illustre la trajectoire récente de l’auto électrique aux États-Unis. Il y a un an, les ventes de voitures à batterie y semblaient sur une lancée durable, avec une hausse de 46 % des ventes en 2023 – dépassant pour la première fois le million de véhicules –, et représentant 7 % de l’ensemble des nouveaux véhicules légers.

Mais à l’automne, les ventes ont fléchi et l’optimisme des constructeurs automobiles s’est transformé en prudence. Les ventes ont baissé même en Californie, le plus grand marché pour les véhicules tout électriques.

Depuis, Ford et General Motors (GM) mettent la pédale douce sur leurs investissements dans l’électrique. GM reporte aussi le lancement de certains nouveaux modèles électriques et prévoit de produire des véhicules hybrides rechargeables qui, selon les concessionnaires, suscitent davantage d’intérêt de la part des clients.

L’accélération d’une voiture sport

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Le Ford F-150 Lightning de Michael Puglia, garé devant chez lui à Dexter, au Michigan, le 3 février 2024. Plus que tout autre nouveau véhicule électrique, le F-150 Lightning semblait un succès assuré à son lancement en 2022.

Plus que tout autre nouveau véhicule électrique, le F-150 Lightning semblait un succès assuré à son lancement en 2022. Il est le jumeau électrique du véhicule le plus vendu au pays... avec l’accélération d’une voiture sport. À un moment donné, Ford avait 200 000 réservations ! Mais au début, l’usine peinait à produire quelques milliers de véhicules par mois ; Ford a perdu des ventes. Puis, en 2023, l’enthousiasme des consommateurs s’est étiolé.

La demande a fléchi et les réservations ont fondu. En 2023, Ford a vendu 24 000 Lightning, 54 % de plus qu’en 2022, mais bien loin de l’objectif de 150 000 véhicules.

Selon Marin Gjaja, responsable des véhicules électriques chez Ford, les ventes du Lightning, bien qu’inférieures aux attentes, sont solides. Au quatrième trimestre, seuls le Model Y et le Model 3 de Tesla ont mieux fait dans la catégorie électrique. Et dans les États où le taux de motorisation électrique est élevé – Californie, Oregon et Washington –, 30 % des Série F vendus par Ford sont des Lightning. « Nous continuons à considérer le Lightning comme un succès et un élément clé de notre offre », dit M. Gjaja.

En décembre, Ford a annoncé pour 2024 une baisse de 50 % de la production, à 1600 Lightning par semaine. Quelque 1400 assembleurs ont été réaffectés à d’autres modèles, dont le F-150 à essence.

En janvier, Ford a vendu 2258 Lightning, 6 de moins qu’en janvier 2023.

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En décembre, Ford a annoncé pour 2024 une réduction de la cadence à l’usine qui assemble les F-150 Lightning, et 1400 assembleurs ont été réaffectés à d’autres modèles, dont le F-150 à essence.

Ford n’est pas le seul : la camionnette a été un segment particulièrement décevant du marché électrique. Rivian a vendu 17 700 R1T en 2023, ni plus ni moins qu’en 2022, selon Cox Automotive. Tesla et GM ont lancé des camionnettes électriques en 2023 – le Cybertruck et un Chevrolet Silverado –, mais n’en ont produit que très peu jusqu’à présent.

Le PDG de Ford, Jim Farley, a déclaré le 6 février que l’entreprise va donner la priorité aux petits véhicules électriques et non aux grands, afin de concurrencer les modèles plus abordables de Tesla et des constructeurs chinois.

Le problème des grosses camionnettes électriques, disent les propriétaires, c’est qu’en dépit d’une technologie et d’une accélération fantastiques, leur autonomie diminue de beaucoup quand on s’en sert comme d’une camionnette : pour transporter des cargaisons lourdes, tracter des remorques et conduire dans des conditions météo difficiles.

L’autonomie d’un véhicule électrique peut varier beaucoup. La firme de recherche Edmunds a testé un Lightning à 27 oC et a tiré 550 km d’une batterie chargée à 100 %. Mais le froid réduit l’autonomie de tous les véhicules électriques. La récente vague de froid dans le Midwest a souvent amputé leur autonomie de moitié. Les propriétaires qui n’ont pas de chargeur à la maison pâtissent encore plus : ils ne peuvent pas préchauffer leur voiture avant de partir. La pluie, les pentes, la conduite agressive et les charges lourdes réduisent aussi l’autonomie.

Selon M. Gjaja, certains conducteurs n’ont pas encore intégré les mesures qui maximisent l’autonomie. Ainsi, programmer le préchauffage de la batterie les matins froids peut réduire la perte d’autonomie, et conduire en minimisant le freinage permet de récupérer de l’énergie lorsque le véhicule ralentit.

Conduire à 100 km/h consomme moins d’énergie que conduire à 115 ou 130 km/h, et peut éviter un arrêt de recharge. « Parfois, en roulant moins vite, on arrive plus vite à destination », dit-il.

Des thermopompes pour chauffer les Lightning

Ford équipe depuis peu les Lightning de thermopompes, qui peuvent augmenter l’autonomie.

Tesla, qui construit la moitié des véhicules électriques vendus aux États-Unis, a été poursuivi l’été dernier par trois Californiens qui affirment que leurs voitures n’ont pas l’autonomie annoncée.

La plainte, déposée devant le tribunal fédéral du district nord de la Californie, se fonde en partie sur un rapport de Reuters selon lequel les chiffres relatifs à l’autonomie figurant sur les écrans du tableau de bord de Tesla ne tiennent pas compte des conditions météorologiques et d’autres facteurs importants.

Tesla n’a pas répondu à une demande d’entrevue.

Même là où il fait chaud, l’autonomie peut être un enjeu.

Mike Kochav, entrepreneur en construction à Fort Lauderdale, en Floride, a acheté un Lightning à l’été 2022 pour environ 90 000 $ US. Son entreprise avait déjà six F-150 à essence. Il a adoré la conduite et la technologie du camion électrique. Mais remorquer du matériel vers ses chantiers répartis dans toute la Floride plombait l’autonomie : « Dès que tu accroches une remorque là-dessus, le millage fond », dit-il.

Comme il parcourt souvent 300 km, voire 500 km par jour, il devait s’arrêter pour recharger le véhicule, ce qui prenait souvent 45 minutes, et même plus s’il devait attendre un chargeur.

« Ça bouffait trop de temps dans ma journée », a expliqué M. Kochav. Il s’est débarrassé de son Lightning l’été dernier.

Malgré tout, les constructeurs vont de l’avant. Les analystes estiment que 1,5 million de véhicules électriques seront vendus en 2024, comparativement à de 1,2 million en 2023. On attend de nouvelles normes fédérales d’émissions le mois prochain. L’administration Biden vise que les voitures à batterie représentent les deux tiers de toutes les ventes de véhicules légers d’ici à 2032 (cela pourrait changer d’ici à la ratification des nouvelles normes).

Si on se fie à M. Korchav, ce n’est pas une cause perdue. Malgré ses frustrations, il se dit prêt à réessayer le Lightning dans quelques années si Ford en améliore l’autonomie et si les stations de recharge sont plus nombreuses.

« J’ai vraiment adoré ce véhicule, a-t-il assuré. Je pense vraiment que j’y reviendrai un jour. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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