Le spectacle de l’année

La mouette

De l’entrée en salle dans une ambiance de fête foraine jusqu’à la finale coup-de-poing, j’ai tout aimé de cette adaptation audacieuse du classique de Tchekhov. Le texte irrévérencieux de Guillaume Corbeil et la mise en scène brillante de Catherine Vidal sont à marquer d’une pierre blanche. Le jeu des interprètes – Mattis Savard-Verhoeven, Madeleine Sarr et Olivia Palacci en tête – est tantôt poignant, tantôt franchement rigolo, mais toujours lumineux. La preuve que les classiques peuvent être dépoussiérés avec brio, sans y perdre leur âme. Au contraire !

Une mise en scène brillante

Angela Konrad pour Vernon Subutex 1+2+3

La metteure en scène Angela Konrad avait frappé fort avec l’adaptation du premier volet de Vernon Subutex en 2022. Sa créativité subversive, son talent à combiner humour et drame ainsi que sa maestria à incorporer la musique à ses propositions scéniques ne se sont pas démentis avec l’arrivée sur scène des deuxième et troisième parties basées sur le roman de Virgine Despentes. On a dégusté les trois volets présentés coup sur coup (plus de six heures de spectacle) sans jamais ressentir une once d’ennui. Chapeau.

Un texte inspiré

La vengeance et l’oubli

On pensait que tout avait été dit et redit sur Hamlet. Le dramaturge Olivier Kemeid nous a prouvé que non avec ce texte finement ciselé, librement inspiré de la plus célèbre pièce de Shakespeare (voire de la dramaturgie moderne). Ici, Hamlet est devenu un finissant en théâtre qui s’enfonce dans la folie après la mort de son père. La finale puissante à en donner la chair de poule est l’une des scènes les plus réussies de cette saison 2023-2024.

L’interprétation féminine

PHOTO YANICK MACDONALD, FOURNIE PAR ESPACE GO

Debbie Lynch-White dans Tremblements

Debbie Lynch-White dans Tremblements

Dès l’entrée en salle, on a su que la pièce Tremblements allait se passer sous le signe de l’intensité. Secouée de spasmes, vêtue de simples sous-vêtements, Debbie Lynch-White était déjà sur scène, prête à exploser. Et c’est à une explosion que l’actrice nous a conviés, celle d’un cœur qui doute, d’une amie qui pleure un être cher. Comme si le flux de paroles qu’elle mitraillait ne suffisait pas, l’interprète a dû livrer sa prestation en luttant contre un plateau qui ne cessait de tourner. Une grande performance artistique… et physique.

L’interprétation masculine

Dany Boudreault dans Homicide

De toute évidence, Dany Boudreault a dû plonger dans la noirceur de son âme pour incarner dans Homicide le tueur Luka Rocco Magnotta. Il se transforme sous nos yeux en un assassin en devenir, un garçon avec un gouffre à la place du cœur, doté d’un désir glaçant d’être vu. Dans une scène insoutenable, il prête de plus sa voix à sa victime. Un jeu d’une justesse irréprochable pour un texte extrêmement difficile à porter en raison de sa dureté.

Une conception à souligner

Les décors d’Affaires intérieures, conçus par Geneviève Lizotte

Pour leur spectacle Affaires intérieures, les artistes Sophie Cadieux, Frannie Holder et Mélanie Demers avaient besoin d’un décor capable d’exprimer la notion d’intériorité, en particulier celle des femmes. Geneviève Lizotte leur a offert tout cela et plus encore avec son décor duveteux dominé par des teintes de rose. Les artistes pouvaient tantôt s’y cacher, tantôt s’y déposer, mais surtout exprimer dans cet espace enveloppant les tourments de leur âme.

La révélation

Gabriel Favreau

Certes, depuis sa sortie de l’École nationale en 2017, l’encre a eu le temps de sécher sur son diplôme. N’empêche, c’est récemment que la carrière de Gabriel Favreau a pris son véritable envol avec des participations à deux pièces d’importance : L’éveil du printemps et La traversée du siècle. Dans la première, il était époustouflant dans le rôle de Moritz, jeune homme au cœur tendre qui peine à trouver sa place. Un acteur charismatique qu’on espère revoir sur scène bientôt.

La (belle) surprise

Fils manqués ?

PHOTO PATRICE LAMOUREUX, FOURNIE PAR LA LICORNE

René Bazinet et David-Alexandre Després dans Fils manqués ?

La question derrière cette pièce avait de quoi laisser perplexe : un homme orphelin de père peut-il devenir autre chose qu’un clown ? Or, ce spectacle signé Jean-François Nadeau représente une des belles surprises de la saison. L’art clownesque y est magnifié par deux interprètes à la sensibilité exacerbée : René Bazinet et David-Alexandre Després. Une proposition touchante, qui fait rire et émeut à la fois. On chuchote que la pièce pourrait être reprise la saison prochaine ou la suivante. On croise les doigts.