Du film Nos belles-sœurs aux adaptations sur scène de Moi… et l’autre et du Matou en passant par La Géante (sur La Poune), Belmont (sur Diane Dufresne) et La shop (sur Yvon Deschamps), le Québec d’hier a la cote chez les créateurs d’aujourd’hui. Décryptage d’un engouement pour nos histoires et nos mythes, revisités dans des spectacles qui prendront bientôt l’affiche.

En général, l’arrivée de l’été culturel rime avec le retour des adaptations de gros musicals américains, tels qu’Annie, Mamma Mia !, Grease et Footloose. Pas cette année. La saison prochaine affichera des couleurs québécoises, avec de nouveaux titres comme Le Matou, La Géante ou la reprise de Lili St-Cyr…

Tous ces spectacles ont une chose en commun : ils revisitent les mythes, les histoires et les légendes du Québec. Comme autant de trésors nationaux.

Alors que le gouvernement québécois lance un plan d’action pour protéger la langue française et assurer « l’accessibilité et la découvrabilité des contenus culturels francophones », de plus en plus de nouvelles productions théâtrales (et des films) affichent une québécitude assumée. Et sans aucune nostalgie.

« On revisite notre répertoire, mais avec des yeux modernes et un regard contemporain. En montrant ce qui résonne encore aujourd’hui », explique René Richard Cyr, qui lancera le 11 juillet son (premier) long métrage très attendu, Nos belles-sœurs, d’après l’œuvre-phare de Michel Tremblay. Comme le fera la réalisatrice Chloé Robichaud à l’été 2025 avec Deux femmes en or, écrit par Catherine Léger d’après sa pièce créée à La Licorne et librement adaptée du film du même nom.

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René Richard Cyr a réalisé le film Nos belles-sœurs qui sortira au cinéma le 11 juillet.

« Tant mieux si nos créateurs regardent en arrière et ne restent pas les yeux uniquement rivés sur l’actualité, poursuit Cyr. Si la France nous a proposé 16 versions des Trois Mousquetaires, le Québec peut bien revisiter encore une fois Les belles-sœurs. Cette histoire n’est pas actuelle : elle est éternelle ! Après une représentation de la comédie musicale, une adolescente m’a déjà dit : ‟Ces personnages-là, on ne les connaît pas, mais on les reconnaît !” »

Dodo et Denise

Après Symphorien l’an dernier, ComediHa! et les Productions Martin Leclerc proposent en juin l’adaptation théâtrale de la comédie télévisuelle Moi… et l’autre, avec Alexa-Jeanne Dubé et Juliette Gosselin. Kim Lévesque-Lizotte, qui signe ici sa première pièce, affirme avoir « mis des mots d’aujourd’hui dans la bouche du passé », en écrivant de nouvelles intrigues aux personnages légendaires de Dodo et Denise.

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Alexa-Jeanne Dubé et Juliette Gosselin joueront respectivement Denise et Dominique dans l’adaptation de Moi... et l’autre.

Aux yeux de l’autrice de la série Les Simone, la popularité actuelle du répertoire québécois ne représente pas une entreprise nostalgique : « Au-delà de la nostalgie, je pense qu’on a besoin de se rappeler d’où l’on vient, ce qui s’est passé avant nous, car il n’y a jamais rien d’acquis. Nous vivons une époque marquée par un retour du conservatisme, un recul de nos droits. Ces œuvres nous font réaliser le chemin parcouru. »

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Kim Lévesque-Lizotte signe l’adaptation théâtrale de la comédie télévisuelle Moi… et l’autre.

Admirative depuis toujours du tandem comique formé par Denise Filiatrault et Dominique Michel, Kim Lévesque-Lizotte veut aussi rendre hommage au caractère précurseur, « avant la lettre », et au côté « subversif » des deux populaires comédiennes. « Ce sont de grandes dames et artistes comiques qui ont tellement marqué le Québec et cette époque. Je ne veux pas qu’on oublie tout ce qu’elles ont accompli pour le Québec et les femmes de ma génération », dit-elle.

La force de l’imagination

« Les gens ont soif de culture locale plus qu’on le pense. On n’est pas ordinaires au Québec. On a un élan, une force, un feu sacré en nous. Il faut revaloriser notre fierté », croit Jade Bruneau. La comédienne et metteure en scène a créé une demi-douzaine de spectacles sur des « trésors de la culture au Québec », dont Clémence DesRochers, Rose Ouellette et Diane Dufresne (Belmont).

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La comédienne et metteure en scène Jade Bruneau

Avec sa compagnie, le Théâtre de l’Œil ouvert, Jade Bruneau souhaite faire vivre notre poésie « porteuse de sens et accessible à tous ». « La culture québécoise a une manière de créer de la magie, du grandiose avec des moyens simples, artisanaux. Pour moi, les mots de Clémence, par exemple, sont plus forts que de gros moyens techniques dans un spectacle. Rien n’est plus puissant que notre imaginaire. »

Après Les voisins, André Robitaille produit et met en scène cet été la pièce Appelez-moi Stéphane. « Depuis que je fais du théâtre, les pièces de Claude Meunier et Louis Saia m’ont toujours attiré, dit-il. Leurs textes ont une puissance et une efficacité comiques. C’est un heureux mariage entre la comédie et la tragédie. La plus grande qualité de ces textes-là, c’est que les spectateurs se reconnaissent dans ces pièces. Ils ont des références avec des gens et des choses qui se passent chez eux. C’est l’effet miroir qui provoque le rire pur et franc du public québécois. »

« Les œuvres québécoises font aussi vendre des billets. Et comme je fais du théâtre privé, sans subventions, la prévente d’un spectacle est très importante », ajoute le producteur.

Broadway en Québec

Après les succès de classiques de Broadway, comme Mary Poppins, Mamma Mia ! et Annie, Joël Legendre se réjouit de voir cet été un producteur (Entourage) donner son aval à la comédie musicale Le matou. « Ce n’est pas arrivé souvent, dans l’histoire récente, de voir une comédie musicale à grand déploiement et 100 % québécoise. Avec 13 interprètes, un gros décor et une riche trame musicale orchestrée par Antoine Gratton. »

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Le metteur en scène Joël Legendre en conférence de presse

« Écrire un musical, c’est une question de structure », dit Jessy Brouillard, qui signe la musique, les paroles et le livret de l’adaptation du roman d’Yves Beauchemin (qui a été porté au cinéma en 1985). Selon lui, le livre de Beauchemin a une structure parfaite pour faire une comédie musicale.

Les personnages vivent une quête rocambolesque qui permet à l’histoire d’avancer en chansons. Le récit est coloré, festif, rythmé.

Jessy Brouillard

Selon l’auteur-compositeur, Le matou propose aussi des rebondissements et des personnages attachants. « Si le roman avait été un succès aux États-Unis, je crois bien qu’un producteur l’aurait déjà monté à Broadway ! »

Ce qui pousse les jeunes artistes québécois à puiser dans le passé tient aussi au fait que le présent n’est pas très rassurant… « Avec Moi… et l’autre, j’ai constaté à quel point Denise et Dominique étaient en avance sur leur époque, lance Kim Lévesque-Lizotte. Deux femmes dans la trentaine qui habitent ensemble, très indépendantes et ambitieuses, qui draguent ouvertement et qui trippent sur les mêmes gars, sans penser au mariage et aux enfants. Même aujourd’hui, ça reste avant-gardiste ! »