L’homme de théâtre portugais Tiago Rodrigues a offert au Festival TransAmériques (FTA) une véritable secousse sismique avec la présentation de Catarina et la beauté de tuer des fascistes, une œuvre d’une puissance peu commune… duquel bien des festivaliers sont sortis ébranlés.

La prémisse est déjà peu banale. Dans un petit village du sud du Portugal, une famille se rassemble chaque année pour exécuter un fasciste. La tradition est vieille de 70 ans. On tue pour honorer la mémoire de l’aïeule avant de festoyer autour d’un plat de pied de porc.

Cette année, c’est au tour de Catarina, la cousine, de vivre ce rite de passage mortifère. Elle y est préparée depuis des années. Mais au moment d’appuyer sur la détente, un doute glacial s’immisce en elle. Les questions, elles, sont brûlantes. Le désir de faire le bien peut-il justifier la violence ? N’est-ce pas jouer le rôle des fascistes que de puiser dans sa propre haine pour se faire justice ? Doit-on tolérer les intolérants en leur laissant le droit de s’exprimer ou vaut-il mieux au contraire les bâillonner pour de bon en les envoyant ad patres ?

Ces questions, on s’en doute, ne plairont pas à la famille qui, hormis cette vocation autoproclamée de tueuse de fascistes, est comme bien d’autres. Un oncle trop jovial pour cacher la maladie qui le ronge ; un autre qui cite Brecht à tout vent. Un cousin mutique ou une mère qui abuse du vin blanc.

Et il y a la cousine qui veut balayer le passé et combattre ce fascisme honni autrement que par le feu. Par les mots, peut-être…

Tous ces personnages – prénommés Catarina et portant des jupes traditionnelles par devoir de mémoire – sont interprétés avec aplomb par des acteurs et des actrices de haut vol. Pas une fausse note ni une hésitation pour venir troubler cette pièce anthologique présentée en portugais, avec surtitres en français et en anglais.

Un public en colère

Avec un étonnant mélange d’humour, de tragique et de discours politico-philosophiques, Tiago Rodrigues signe un texte et une mise en scène qui sont tout sauf confortables. Il a choisi ici de n’offrir aucune solution au conflit moral de la jeune Catarina, déchirée entre ses convictions et l’amour des siens. C’est, estime-t-il, au public de départager le bien du mal et de trouver ses propres nuances de gris.

Et pour le faire, il n’utilise rien de moins que des électrochocs sous la forme d’un long discours haineux du fasciste qui devait servir de pièce maîtresse à la réunion familiale. Personne n’est épargné : les femmes, les homosexuels, les immigrants… L’homme déverse son venin, écume aux lèvres, pendant 20 bonnes minutes insoutenables.

PHOTO JOSEPH BANDERET, FOURNIE PAR LE FTA

Le personnage du fasciste, campé par Romeu Costa, vient ébranler fortement le public avec ses propos haineux.

Le public, soutenu fort probablement par des agitateurs chargés de mettre le feu aux poudres, finit par choisir son camp. Dimanche soir, les spectateurs criaient, scandaient des slogans antifascistes ou se levaient pour quitter la salle avec fracas. L’acteur, formidablement stoïque, mais aussi terrifiant dans ses propos, n’a pas fléchi. Il a mitraillé ses mots nauséabonds jusqu’au dernier dans une maîtrise qui force l’admiration.

Jamais n’a-t-on vécu un moment aussi tendu dans une salle de théâtre. Coincé entre la haine déversée sur scène et celle qui venait du public, il était impossible de ne pas ressentir une énorme charge d’adrénaline remplir ses veines.

Si bien qu’après le salut final (sous des ovations et des hourras bien sentis), l’atmosphère était explosive dans le hall d’ordinaire bien tranquille du Théâtre Duceppe.

Bref, Tiago Rodrigues a frappé un grand coup avec son texte polarisé (et polarisant), mais aussi avec sa mise en scène brillante qui brouille les pistes temporelles pour nous rappeler que la montée du fascisme n’est pas qu’une histoire du passé. Elle est de toutes les tribunes aujourd’hui et risque de définir les lendemains difficiles de notre démocratie à bout de souffle.

C’est pour offrir aux amateurs de théâtre et de danse ce genre de coup de tonnerre venu d’ailleurs que le FTA a été créé, il y a de cela 39 ans. Souhaitons-nous-en encore bien d’autres pour les 39 années à venir.

Le FTA se poursuit jusqu'au 5 mai.

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Catarina et la beauté de tuer des fascistes

Catarina et la beauté de tuer des fascistes

Texte et mise en scène de Tiago Rodrigues

Théâtre Duceppe dans le cadre du FTA, Jusqu’au 28 mai.

9/10