Une langue, aussi inventive et envoûtante est-elle, constitue-t-elle une matière suffisante pour enflammer une scène et transcender les pages du roman qui la contenaient à l’origine ?

C’est la question que l’on se pose devant la pièce Parents et amis sont invités à y assister, d’après le livre du même nom signé par le Québécois Hervé Bouchard. Or, la réponse est pleine de doutes et de points d’interrogation.

Le metteur en scène Christian Lapointe (qui signe aussi ici l’adaptation) a été bouleversé à la lecture de ce roman de facture dramaturgique publié en 2006. Pendant des années, il a rêvé de porter sur scène cette polyphonie autour de la mort, de l’enfance, de l’absence, mais aussi des vicissitudes et des espoirs déçus du peuple québécois. Son rêve se réalise ces jours-ci au Théâtre de Quat’Sous, où le directeur artistique et codirecteur général sortant Olivier Kemeid lui a fait une place dans son ultime programmation.

On peut comprendre la fascination de Christian Lapointe pour la langue hors norme d’Hervé Bouchard. Ses mots vifs explosent comme des geysers, s’enroulent sur eux-mêmes, se travestissent pour prendre des sens nouveaux. Chez le « citoyen de Jonquière », comme il se surnomme lui-même, les enfants sont orphelinés et la mère est manchée dans son désespoir depuis la perte du père Beaumont, son mari. Au point d’en perdre les deux bras et de porter une robe de bois comme elle porterait sur elle son propre cercueil.

Lumière sur le jeu scénique

Il faut saluer bien bas les interprètes, qui ont réussi à mater cette langue comme nulle autre pareille. C’est particulièrement vrai pour Lise Castonguay qui, par sa présence lumineuse, nous rappelle l’étendue de son talent. Dans le rôle de Laïnée, la Veuve Manchée, elle est tout en douleur et en force à la fois.

PHOTO YANICK MACDONALD, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DE QUAT’SOUS

Plusieurs personnages portent des masques qui effacent leurs traits jusqu’à la disparition.

Le reste de la distribution incarne avec une énergie admirable tantôt les orphelins tapageurs du clan, tantôt les belles-sœurs envahissantes venues constater l’ampleur des dégâts. Tous ces personnages sont affublés de masques déshumanisants – et troublants – qui lissent leurs traits jusqu’à la disparition.

Et lorsque les masques tombent, littéralement, l’histoire de cette famille en décomposition prend une autre tournure, en s’attardant sur le rôle du théâtre, sa force, ses diktats. Le tout avec ces mots qui martèlent leur importance, au-delà (voire au détriment) du récit.

Car s’il est impossible de trouver de fausses notes dans l’interprétation, que la scénographie est très efficace et que les costumes signés Virginie Leclerc mériteraient de se retrouver dans un musée, on ressort tout de même de cette pièce dans un état de perplexité certain.

Parce que l’adaptation théâtrale de « ce drame en quatre tableaux avec six récits au centre », comme le décrit Hervé Bouchard lui-même, manque d’air. Parce que les mots nous assaillent sans répit, parce que les repères sont floutés et qu’on finit par ne plus savoir ce qui se dit et surtout ce qui est tu. Chez Hervé Bouchard, une règle s’impose : « C’est parle ou meurs, il n’y a pas d’alternative, il n’y a pas d’autre moteur que celui de la parole, il n’y a pas d’autre lumière. » Tout est là.

Certains adoreront le voyage, car cette étrange proposition ne manque pas d’audace. Mais d’autres, comme l’auteure de ces lignes, se diront qu’il aurait peut-être été plus pertinent de lire la langue fulgurante de Bouchard plutôt que de la voir naître sur scène. Parce que, ainsi, les mots ont plus de place – et de temps – pour se déposer.

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Parents et amis sont invités à y assister

Parents et amis sont invités à y assister

D’Hervé Bouchard, mise en scène de Christian Lapointe. Avec Sylvio Arriola, Lise Castonguay, Tiffany Montambault, Ève Pressault et Gabriel Szabo

Au Théâtre de Quat’sous, Jusqu’au 11 novembre

6/10