Dernier volet d’un « cycle de la collapsologie », L’espèce fabulatrice est une libre adaptation de l’essai éponyme de Nancy Huston. Un spectacle un tantinet anxiogène qui parle de l’effondrement de notre civilisation, et de la suite incertaine de notre histoire.

L’auteure et conceptrice de la compagnie Pirata Théâtre, Michelle Parent, avait commencé son cycle en 2020 avec Comment épouser un millionnaire, avant d’enchaîner avec 100 secondes avant minuit. Deux spectacles qui annonçaient l’effondrement de notre système, que ce soit sur les plans économique, social ou environnemental.

Avec L’espèce fabulatrice, on y est. Dans l’eau chaude. Les rapports des scientifiques sur le réchauffement climatique ont été ignorés. Les appels à la décroissance économique ont été suivis d’un éclat de rire. La population continue de croître. Les actions des militants ont été ridiculisées, bref, pensez au film Don’t Look Up et vous avez un peu le topo.

Comme à son habitude, Michelle Parent, a réuni sur scène des acteurs et des non-acteurs, un pari toujours risqué, mais qui étonnamment fonctionne plutôt bien. Cette fois, elle a choisi des interprètes ayant vécu un « effondrement personnel » qu’ils ont réussi à surmonter. Ces six performeurs élargissent ainsi la discussion sur l’état du monde et les manières de survivre aux catastrophes qui nous attendent…

On a en tête la pièce Paradis perdu de Jean Leloup… « Il y aura tout d’abord les épreuves élevantes. Il y aura les tempêtes, les mers d’huile. Il y aura les vagues meurtrières. Il y aura les récifs, il y aura les écueils. Il y aura les requins, il y aura le scorbut, les maladies. Il y aura les mutineries. Et plusieurs d’entre nous y laisseront leur vie… »

Si vous souffrez d’écoanxiété, ce spectacle n’est peut-être pas une sortie qu’on vous conseille…

Mais revenons à L’espèce fabulatrice, qui malgré une prémisse hyper intéressante, peine à se frayer un chemin jusqu’au spectateur, surtout durant la première demie du spectacle. Est-ce à cause du texte hirsute et parfois décousu ? Ou de la mise en espace déroutante où les interprètes donnent l’impression de jouer à un match d’improvisation en se déplaçant autour d’une radio portative porteuse de mauvaises nouvelles ?

En tout cas, on n’entre jamais dans les détails des « effondrements personnels » des performeurs, on ne fait que les sous-entendre, dans une certaine confusion.

Il y a tout de même deux pistes intéressantes qui s’éclaircissent petit à petit. La première est le parallèle avec l’œuvre de Nancy Huston, qui répond à des questions soumises par les concepteurs de L’espèce fabulatrice. Dans un enregistrement diffusé sur scène, on l’entend expliquer la thèse de son essai, à savoir que nous sommes tous des « récits ambulants » et qu’étant la seule espèce consciente de sa mortalité, nous nous racontons des histoires ou des récits pour donner un sens à nos vies, pour nous protéger aussi.

Si on extrapole, on peut se demander : dans un monde en train de s’effondrer (ou carrément effondré !), quel sera le récit qu’on va se raconter ?

L’autre piste intéressante, qui est étoffée dans la deuxième partie, est celle des Tournesols de Van Gogh – une serre avec des tournesols est d’ailleurs placée au centre de la scène. On rappelle notamment l’histoire des militants écologistes du mouvement Just Stop Oil, qui avaient jeté de la soupe à la tomate sur le chef-d’œuvre du peintre néerlandais à la National Gallery de Londres l’an dernier (sans l’endommager).

Ce geste, ridiculisé par plusieurs observateurs, est pourtant un appel au secours pour préserver la nature. Mais malheureusement, il y a des sujets qu’on ne veut tout simplement pas aborder. L’environnement en est un. On n’en parlera lorsqu’il sera trop tard… L’écologiste français Yves Cochet prédit même que l’humanité pourrait disparaître en 2050…

À la fin, il restera les fleurs, dira l’une des interprètes. Des fleurs et… un appel à la révolution. Seule voie qui subsiste pour survivre à cet effondrement, nous dit une voix hors champ. Qu’est-ce qu’on va bien se raconter comme histoire après avoir vu ce spectacle pour vaquer à nos affaires comme si de rien n’était ?

L’espèce fabulatrice

L’espèce fabulatrice

De Michelle Parent. Conception Marie-Ève Fortier, Andréanne Deschênes, Michelle Parent. Avec six performeurs.

Aux Écuries , Jusqu’au 28 octobre

6,5/10