En près de 60 ans de carrière, il a été partout, sur toutes les scènes et sur tous les écrans, les petits comme les grands. Mais à 78 ans, Raymond Bouchard a décidé de ralentir pour profiter simplement de ce qui compose ses bonheurs quotidiens.

N’allez pas pour autant lui demander s’il est retraité. La réponse viendra tout de go : ce métier qu’il pratique depuis sa jeune vingtaine, il ne l’a pas quitté. « Si un projet intéressant se présente, je vais dire oui, c’est certain. Mais il faut que je tombe en amour. »

Comme dans la vraie vie où l’apparition de Cupidon est difficile à prédire, l’amour d’un rôle tient parfois à bien peu de choses.

J’ai besoin d’un personnage complexe, avec de la viande. Un rôle pas trop facile, non plus. J’ai refusé des rôles que je trouvais plates dans de bonnes séries télé.

Raymond Bouchard

Il vient toutefois d’accepter un rôle dans la comédie Le placard, du Français Francis Veber, présentée cet été à Rougemont et à Sainte-Agathe-des-Monts. Il y tient le rôle du voisin et confident de François Pignon (interprété par Sébastien Dodge), un homme sans envergure qui voit les regards sur sa personne changer après la révélation de sa (feinte) homosexualité.

Le placard en répétition
  • Raymond Bouchard incarne le voisin et confident de François Pignon dans la comédie Le placard.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Raymond Bouchard incarne le voisin et confident de François Pignon dans la comédie Le placard.

  • Sébastien Dodge endosse le rôle de l’ineffable Pignon. « J’adore son jeu décalé », dit Raymond Bouchard à propos de son partenaire de scène.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Sébastien Dodge endosse le rôle de l’ineffable Pignon. « J’adore son jeu décalé », dit Raymond Bouchard à propos de son partenaire de scène.

  • Jean-Bernard Hébert (à gauche) et Marc-André Poliquin sont aussi de la distribution.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Jean-Bernard Hébert (à gauche) et Marc-André Poliquin sont aussi de la distribution.

  • Alain Zouvi, metteur en scène de la pièce de théâtre Le placard, dirige ses troupes.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Alain Zouvi, metteur en scène de la pièce de théâtre Le placard, dirige ses troupes.

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Le comédien, producteur et directeur de théâtre Jean-Bernard Hébert est de l’aventure. Il s’estime privilégié de pouvoir partager la scène avec celui qu’il considère comme son mentor et son ami depuis près de 30 ans. « Au-delà du fait que Raymond est un acteur fabuleux, c’est un grand humaniste pragmatique qui agit comme un catalyseur dans une troupe. Il a une telle prestance ! Et il est si touchant et attachant. C’est un vrai monument ! »

Raymond Bouchard, de toute évidence, se réjouit de ce nouveau projet. « Faire rire les gens est un des plus grands privilèges de ce métier. C’est très gratifiant. Cette pièce est vraiment drôle et les autres comédiens sont tellement bons ! C’est un vrai trip de gang ! Il va falloir que je fasse attention aux fous rires sur scène ! »

Car ce que plusieurs ignorent, c’est que Raymond Bouchard souffre de deux maux associés à son métier : le trac (qui continue de lui brûler la poitrine malgré le passage des ans) et une irrépressible envie d’éclater de rire lorsqu’un comparse bafouille ou s’emmêle les pinceaux dans ses répliques.

Et des occasions de rire (ou de pleurer), sa carrière en est remplie. Un seul regard à son curriculum vitæ donne le tournis. Il a tenu les plus grands rôles sur scène – Argan dans Le malade imaginaire, Othello dans la pièce du même nom, George dans Qui a peur de Virginia Woolf ? –, joué dans des films ici et en France – notamment King Guillaume –, remporté des Gémeaux pour des rôles au petit écran – dans L’or et le papier, entre autres…

Un radical chez les classiques

Or, tout a commencé presque par hasard, sur l’insistance du père Thibodeau, un eudiste qui lui enseignait au cours classique. « Il trouvait que j’avais une bonne voix et m’a suggéré de rejoindre la troupe de théâtre. Ma première réaction a été de dire non ! Je suis beaucoup trop gêné. » Ce fils de linotypiste (qui chantait en grégorien tous les matins à la messe) a surmonté sa gêne et a joué un rôle dans une production scolaire, puis un autre. À l’Université Laval (où il s’est d’abord inscrit en latin et en grec), il a rejoint la troupe Les Treize, troupe qu’il a fini par diriger avant de s’inscrire au Conservatoire de Québec, à l’âge de 24 ans.

« C’était l’âge limite pour rentrer à l’époque. J’avais déjà un début de carrière professionnelle : à 18 ans, j’étais payé 8 $ par soir pour jouer dans un théâtre de quartier à Québec. Je faisais aussi des émissions dramatiques à la radio. Si je me suis inscrit au Conservatoire, c’est surtout pour travailler les classiques. »

Son passage au Conservatoire de Québec sera un passage éclair : il demande à être muté à Montréal après trois mois et saute sa deuxième année d’études pour passer directement en terminale… où sa présence aux cours est pour le moins aléatoire !

Je me serais mis dehors moi-même. J’étais marxiste-léniniste à l’époque. Je contestais beaucoup ce qu’on nous enseignait. J’étais un radical ! Plutôt que d’aller à mes cours, je répétais des scènes d’Othello avec Albert Millaire pour ma scène de fin d’année. Je rêvais de jouer ce rôle un jour…

Raymond Bouchard

À sa sortie du Conservatoire, il est parti pendant un an faire le tour de l’Europe avec sa compagne de l’époque, Marie Tifo. « On a visité des théâtres expérimentaux en Pologne, en Russie ; on dormait dans notre van. Comme je suis diabétique de type 1, je traînais une poche de seringues et d’insuline ! C’était un peu compliqué pour passer aux douanes, surtout que j’avais l’air d’un hippie ! »

Difficile pourtant d’imaginer Raymond Bouchard avec des fleurs dans les cheveux, lui dont la voix imposante a semé sur sa route des rôles de PDG, de policier ou de dur à cuire.

PHOTO TIRÉE D’IMDB

Raymond Bouchard, au centre, incarnait Jean-Maurice Beauchemin dans le téléroman Race de monde.

C’est d’ailleurs avec un rôle d’ex-prisonnier qu’il a fait ses débuts à la télé, en 1978, dans le téléroman Race de monde de Victor-Lévy Beaulieu. « C’est la première fois qu’on me reconnaissait dans la rue. Les gens m’appelaient Ostifi, comme le patois de mon personnage ! »

Observer le temps qui passe

Après des années à multiplier les rôles, parfois au détriment de sa santé – il a déjà débarqué à l’hôpital paniqué pour se faire prescrire du repos –, Raymond Bouchard savoure aujourd’hui la quiétude qui est la sienne. « J’ai donné dans ma vie. Quand je travaille, je veux toujours me donner à 200 %. Aujourd’hui, j’aime pouvoir prendre mon café et manger mon orange tranquillement le matin. Je n’ai aucun problème à ne pas parler pendant trois jours ! Je suis convaincu que j’ai déjà été moine dans une autre vie ! J’aime aussi m’occuper de mes deux filles, même si elles sont grandes. La famille reste la chose la plus importante pour moi. »

Ses journées, il les consacre à la lecture – tout ce qui touche la cosmologie ou la physique quantique l’intéresse –, mais surtout à l’écoute de musique classique et d’opéra. Sur le sujet, l’acteur est intarissable. Il parle avec des étincelles dans les yeux du génie de Mozart et de Haydn, de Bach « qui devait être très drôle dans la vie », de Rachmaninov, de Brahms.

Ses pupilles deviennent tout aussi brillantes lorsqu’il évoque les rôles qu’il aurait rêvé endosser et qui risquent de lui échapper. Celui du Roi Lear, d’abord. « J’aurais tellement aimé me battre avec ce rôle énorme, mais à 78 ans, je doute d’être assez fort physiquement. »

Il est aussi passé à un cheveu de réaliser le rêve d’incarner l’acteur vieillissant James Tyrone dans Le long voyage vers la nuit, d’Eugene O’Neil. La pièce, programmée à la saison 2019-2020 du Rideau Vert dans une mise en scène d’Yves Desgagnés, a été reportée deux fois en raison de la pandémie. « Quel beau rôle ! J’étais tellement heureux de pouvoir le jouer. Cette pièce est un classique du répertoire du XXsiècle. Le décor – une immense toile de Turner – est encore dans l’entrepôt du théâtre, mais on ne sait toujours pas si la pièce sera reprise ou non… »

En attendant, il a ce rôle dans Le placard à défendre, rôle qui le mènera dans une tournée panquébécoise en 2024. Avec, au programme, sans doute un ou deux petits fous rires…

Le placard est présentée au Théâtre de Rougemont du 29 juin au 5 août et au Patriote de Sainte-Agathe-des-Monts du 9 au 19 août.

Consultez le site du Théâtre de Rougemont Consultez Le site du Patriote de Sainte-Agathe-des-Monts Lisez « Raymond Bouchard en 10 rôles »