« Regarde, on dirait une petite fleur japonaise qui n’est pas encore née. » De cette phrase poétique dite un jour par sa filleule de deux ans et demi, Marie Brassard a conçu un spectacle inclassable, où beauté et horreur s’entremêlent librement.

C’est dans un point à peine visible d’un livre rapporté du Japon que la petite Léone avait vu cette fleur à naître. Dans sa plus récente création, intitulée Violence, Marie Brassard a décidé de traverser ce point microscopique, ce trou imperceptible, pour passer de l’autre côté de l’image. Elle plonge ainsi dans un monde baigné de lumière et de musique, décor atmosphérique des contes terrifiants qui s’y déploient.

Telle Alice passant dans le trou du lapin sans savoir si elle pourra en ressortir, Marie Brassard descend ici en pleine noirceur. De sa voix chaude, elle raconte les poissons qu’on éviscère, les corps baignant dans des mares de sang, les raz-de-marée emportant des petits enfants, la haine humaine, la colère de la nature. Elle évoque Gaza, Ground Zero, l’attentat au sabre de Québec ; parle de l’effondrement qui nous guette et de la possibilité de faire partie des vivants qui verront le soleil s’éteindre.

Derrière elle, sur l’immense écran qui sert de toile de fond, les projections défilent, œuvres surréelles et somptueuses signées en direct par l’artiste visuelle Sabrina Ratté. On y voit aussi des images sublimes de la danseuse Miwa Okuno et de l’actrice Kyoko Takenaka, qui ont collaboré au projet à partir du Japon. La musique enveloppante d’Alexander MacSween – présent sur scène à quelques occasions – vient ajouter à l’expérience sensorielle et donner une unité sonore à cette suite de tableaux.

Car il faut bien le dire, Marie Brassard ne nous donne pas de clés, ou si peu, pour saisir avec notre intellect ce qui se passe sur scène. « Il doit bien y avoir une histoire, mais je ne suis pas certaine de comprendre », lance-t-elle d’ailleurs dans un des extraits vidéo.

Il faut donc accepter de suivre la Québécoise dans le dédale de ses intuitions créatives, le cœur grand ouvert et l’esprit décloisonné. Les diktats du conformisme, le besoin de tout ranger dans des petites cases bien identifiées : pour Marie Brassard, ce ne sont d’ailleurs là que d’autres formes de la violence ordinaire qui tapissent nos vies depuis l’enfance.

Passer de l’autre côté de l’image signifie aussi profiter d’une liberté créatrice débridée que peu d’artistes osent revendiquer. Pour Marie Brassard, la rencontre avec le public prime sur le message. L’œuvre se dessine par elle-même, au gré du temps et des explorations : elle ne prend son sens que par les yeux de ceux qui la voient, par les émotions qu’elle leur fait ressentir.

Et tant pis (ou tant mieux ?) si le sentiment d’être parfois à la dérive dans un monde qu’on n’arrive pas à catégoriser fait partie du lot.

Violence

Texte, mise en scène et interprétation de Marie Brassard

Chez Duceppe, Jusqu’au 2 juin, dans le cadre du Festival TransAmériques

7/10