« Hoooomer ! » Pour la majorité des Québécois, Marge Simpson, c’est elle. Plus que la voix éraillée : les intonations, le ton, les hésitations – « mmmh » –, le mélange d’autorité et d’affection envers son niaiseux de mari et ses trois enfants. Après 33 saisons à donner vie à la mère de famille la plus célèbre du petit écran, Béatrice Picard tire sa révérence.

« Il était temps que je laisse le rôle avant que le rôle me laisse », dit l’actrice en entrevue avec La Presse alors qu’elle vient de boucler le doublage du dernier épisode de la prochaine saison. Un bouquet de fleurs lui a été remis dans le studio Difuze pour souligner l’occasion.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE DIFUZE

Béatrice Picard lors de sa dernière séance de doublage de la voix de Marge Simpson

« Je vais avoir 94 ans, souligne la doyenne de la distribution québécoise. Je trouve que je deviens un peu vieille pour faire Marge. » La cheffe de famille au vertigineux chignon bleu, figée dans le temps, n’a pas encore atteint la quarantaine, selon différents indices laissés dans la série de Matt Groening, dont Fox diffuse la 34saison aux États-Unis.

Béatrice Picard prête ses cordes vocales à Marjorie Jacqueline Simpson depuis le début de la série satirique campée à Springfield, en 1989.

En comparaison, son homologue américaine, l’actrice Julie Kavner, a 72 ans, tandis que la doubleuse française, Véronique Augereau, affiche la mi-soixantaine.

Peu encline à la nostalgie, l’actrice québécoise affirme que Marge Simpson, née Bouvier, aura été « un personnage comme un autre » dans sa longue carrière. Or, il est évident, notamment à la lecture des commentaires publiés sur les réseaux sociaux mercredi, que son interprète n’aura pas été « une voix comme une autre » pour toute une génération d’adeptes de la famille à la peau jaune, à l’image des rires qu’elle provoque.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Béatrice Picard enregistrant la voix de Marge Simpson au studio Cinélume, en 2007

« Aujourd’hui, une page, un chapitre même, de l’histoire du doublage québécois est tournée », a par exemple écrit sur Facebook Guy-Antoine St-Cyr, auteur en humour et « fan fini » des Simpson.

Merci à Béatrice Picard d’avoir bercé, de sa voix rauque, l’ensemble de ma vie. C’est une retraite bien méritée.

Guy-Antoine St-Cyr, auteur en humour et « fan fini » des Simpson

Insistons un peu : la matriarche Simpson n’a-t-elle pas quelques points communs avec celle qui lui a donné voix pendant plus de 30 ans ? « C’est une femme qui a beaucoup d’emprise sur le reste de la famille parce qu’elle est l’organisatrice en chef, finit par laisser tomber Béatrice Picard. C’est peut-être le petit côté qui me ressemble. »

Un contexte différent

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, Béatrice Picard avoue qu’elle a perdu un peu de plaisir dans son travail de doubleuse, naguère « très agréable ». « C’est devenu un peu plus compliqué. Avant, on travaillait en équipe, ce que j’aimais beaucoup, alors que là, on est tout seuls dans le studio pour dire nos lignes. »

Il faut rappeler que l’équipe québécoise des Simpson a perdu quelques vétérans dans les dernières années. Hubert Gagnon, qui a interprété Homer pendant 27 ans, s’est retiré en 2017. Il est mort d’un cancer trois ans plus tard.

Le détestable M. Burns a quant à lui dû se redéfinir après que son interprète de 1989 à 2019, Edgar Fruitier, a été poursuivi pour attentat à la pudeur contre un mineur. Il a été déclaré coupable en juillet 2020.

C’est toutefois sans drame que Marc Labrèche a passé le flambeau de Krusty le clown à Gilbert Lachance en 2007.

Béatrice Picard rassure les nostalgiques : l’avenir de Marge Simpson est entre de bonnes mains. « La personne qui va me remplacer, c’est à s’y méprendre, dit-elle. Vous ne verrez même pas la différence. Elle travaille très, très, très bien. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FOX

Marge Simpson dans la saison 33 des Simpson

C’est la comédienne Chantal Baril, interprète de Milhouse, qui a été désignée pour remplacer Béatrice Picard.

L’actrice de 93 ans, elle, planche sur de nouveaux projets. « C’est ma retraite de Marge, mais pas de Béatrice », assure celle qui, à l’instar du personnage de Marjorie Bouvier, multiplie les pieds de nez au temps qui file.