L’instant d’une conversation autour de leur carrière, du temps qui passe et du monde qui les entoure, La Presse prend des nouvelles de personnalités chéries des Québécois, qui vivent désormais plus loin des projecteurs

« Il y a des filles que j’habille qui ne m’ont jamais connue comme humoriste », s’amuse Marie-Lise Pilote, qui s’est presque complètement éclipsée après la fin de sa quatrième tournée. Elle se consacre depuis à sa ligne de vêtements de travail pour femmes, Pilote & Filles, la plus importante du genre en Amérique. « Elles me disent des affaires comme : Je regardais des reprises d’Histoires de filles l’autre soir. Ça se peut-tu que t’étais là-dedans ? »

C’est donc par choix que l’humoriste s’est effacée. Au moment de conclure sa dernière virée du Québec, amorcée en 2012, l’interprète de la Méchante et de la Fille des îles était de plus en plus lasse de travailler le soir et les fins de semaine. Malgré son jeune âge, elle avait alors déjà plus de 30 ans de carrière dans le corps. « J’ai été plus longtemps connue que pas connue », lance-t-elle avant d’éclater de son rire lumineux.

« À ma première semaine au cégep de Jonquière, se souvenait-elle récemment devant un thé, j’ai rencontré Dominique Lévesque. Il m’a dit : “Viens voir l’improvisation” et je ne savais même pas ce que le mot “improvisation” voulait dire. La semaine d’après, je gagnais la première étoile. »

Elle deviendra bientôt une des humoristes les plus populaires de la décennie 1990, enchaînant deux tournées avec le Groupe sanguin, quatre en solo, en plus de tenir le rôle principal d’un film à succès (L’homme idéal, 1996), d’animer à la radio et de rameuter des millions de téléspectateurs grâce à Ma maison Rona à TVA.

PHOTO PIERRE CÔTÉ, ARCHIVES LA PRESSE

Le Groupe sanguin en 1989

Quiconque dresserait une liste des cinq femmes les plus marquantes de l’histoire de l’humour québécois pourrait difficilement ne pas y inclure Marie-Lise Pilote. Et pourtant, son héritage semble trop souvent oblitéré, tout comme une bonne part de l’humour des années 1990, qui avait certes ses facilités et ses angles morts, mais sans lequel le rire québécois ne serait jamais devenu la foisonnante industrie que l’on connaît.

« Je pense que j’ai toujours eu peur de devenir une has been », confie Marie-Lise, 58 ans, en se remémorant avoir croisé un soir au Capitole de Québec Jean-Guy Moreau, imitateur étoile d’une certaine époque, qui s’attelait alors à reconquérir le public. « Il sortait tout juste de scène et il avait tellement une grande tristesse dans le visage. Il trouvait ça dur. Je me rappelle m’être dit que je ne voulais pas vivre ça. J’ai toujours préféré quitter avant d’être quittée. »

Un métier particulier

Ce qui ne signifie pas pour autant que Marie-Lise Pilote n’a pas trouvé difficile son divorce d’avec la lumière, qu’elle ne souhaitait pas forcément aussi radical et immédiat. « Quand j’ai arrêté de faire des shows, j’ai eu l’impression de disparaître, regrette-t-elle, bien que sans apitoiement. Je m’imaginais qu’on continuerait de m’appeler pour autre chose, comme on m’a appelée pendant les 13 ans entre mon troisième et mon quatrième show. Mais non. Et ç’a été dur. »

C’est vraiment un métier particulier, parce que tu es toujours confrontée à ton passé. Tu ouvres la télé, tu vois des émissions que t’as faites, des personnes avec qui t’as joué. Disons que ça te ramène un ego pas à peu près quand le téléphone arrête de sonner.

Marie-Lise Pilote

Pour l’humoriste Josiane Aubuchon, 36 ans, Marie-Lise Pilote n’est rien de moins qu’une pionnière. « Il y a un grand chapitre de l’histoire des femmes en humour qui lui appartient », pense celle qui l’a rencontrée alors qu’elle faisait partie du collectif comique Les Femmelettes. « Et je pouvais vraiment comprendre quand Marie-Lise nous disait qu’à son époque, c’était intimidant d’aller présenter son numéro devant une gang de boys qui se tiennent entre eux. Elle avait envie de s’entourer de femmes, mais il n’y en avait pas. »

PHOTO RÉMI LEMÉE, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Lise Pilote en 2003

Marie-Lise le confirme. « Dans le milieu de l’humour, je n’ai malheureusement pas connu la complicité féminine, et ça m’a manqué. » Au moment de fonder Pilotes & Filles, il y a maintenant 14 ans, elle entendait les échos de sa propre expérience dans ce que des plombières et des électriciennes lui confiaient.

Je comprenais leur langage et je savais ce qu’elles vivaient, parce que moi aussi, je l’avais vécu. Tu n’as pas besoin d’être harcelée sexuellement ou de te faire dire des bêtises tous les jours pour que ce ne soit pas évident. Ne jamais se reconnaître dans les personnes avec qui tu travailles, c’est dur à la longue.

Marie-Lise Pilote

Pas amère

« Mais je ne voudrais pas que tu penses que je suis amère », laisse tomber Marie-Lise Pilote, ce qui aurait été difficile, à voir son sourire, l’image même de la sérénité. « J’essaie de plus en plus d’être dans la gratitude, parce que ça goûte bon », résume-t-elle. Et dans le partage aussi, par l’entremise d’un projet comme la bourse Pilote & Filles, qui récompense des étudiantes inscrites à une formation menant à l’exercice d’un métier traditionnellement masculin.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Marie-Lise Pilote

Chaque matin, l’entrepreneuse passe un coup de fil à sa maman de 87 ans en adoptant un accent différent. « Et toutes les fois, elle part à rire. Je sais que ça commence bien sa journée et quand je raccroche, je me dis : “Ah, j’ai fait du bien à quelqu’un.” » Sa méchante, elle ? Elle est maintenant un personnage de sorcière, qu’elle fait revivre pour les petits-enfants de son chum, qui sont aussi en quelque sorte les siens. « Il y a des années où on se définit beaucoup par le travail, dit-elle, puis un jour tu te rends compte qu’il n’y a pas que ça dans la vie. »

Au lendemain de notre rencontre, Marie-Lise Pilote m’envoie un long courriel, dans lequel je lis moins la crainte d’avoir été mal comprise que le désir de me dire le plus limpidement possible que sa joie tient aujourd’hui à ce qu’elle crée au quotidien – à la direction de son entreprise, dans sa cour à la campagne, aux fourneaux – ainsi qu’à ce sentiment de se sentir utile auprès de ses proches et des femmes qui portent ses vêtements.

Elle y précise que le « peut-être » qu’elle avait offert à l’inévitable question d’un éventuel retour sur les planches est en réalité un « non » plutôt ferme. « Je crois que si j’ai tant aimé jouer sur scène, c’est pour être totalement dans le moment présent, écrit-elle. Aujourd’hui, je réalise que j’ai profité pleinement de ces moments et qu’il ne tient qu’à moi de continuer à jouer pour être totalement présente. »