La quatrième de couverture de ce 6e tome, en librairie le 6 janvier, ne laisse planer aucun doute. « Ce livre raconte l’histoire vraie de la disparition de l’Arabe du futur. » Ce sera bel et bien la conclusion de cette formidable aventure lancée en 2014. Pour marquer le coup, nous nous sommes entretenus avec Riad Sattouf.

Depuis son enfance en Libye, puis à Ter Maaleh, en Syrie, jusqu’à son déménagement à Rennes, en France, et au départ de son père en Arabie saoudite, puis de nouveau en Syrie avec son jeune frère Fadi (qu’il kidnappe), on a suivi au fil des ans toutes les péripéties de jeunesse de Riad Sattouf.

Dans quel état d’esprit se trouve-t-il ces jours-ci, sachant que l’aventure de L’Arabe du futur est maintenant terminée ?

« Le livre est sorti en France un mois et demi à peine après mes derniers dessins, donc je n’ai pas complètement réalisé, nous dit Riad Sattouf lors d’un entretien téléphonique. Mais c’est sûr que lorsque j’ai entrepris cette BD il y a huit ans, je savais où je m’en allais, je savais qu’il y aurait six tomes, mais je ne savais pas combien de temps ça me prendrait pour y arriver. »

Plus de 3 millions d’albums !

Très bien accueilli en France depuis sa sortie, Riad Sattouf avoue qu’« il y a quelque chose de vertigineux » à tout ça. « Il y a des gens qui connaissent mieux ma famille que moi ! C’est quand même très émouvant. » Avec ses plus de 3 millions d’albums vendus (pour les cinq premiers tomes), sa série est l’un des plus grands succès de la BD francophone.

C’est pour l’auteur la fin d’un cycle majeur, craint-il de vivre une espèce de post-partum ?

« Je n’ai pas l’angoisse de la page blanche parce que j’ai toujours eu plusieurs projets en cours. Je continue ma série jeunesse Les cahiers d’Esther, je travaille sur le deuxième tome de la série Le jeune acteur, Les aventures de Vincent Lacoste au cinéma et j’écris le scénario d’un film pour les trois acteurs des Inconnus [Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus], donc je n’ai pas le temps d’avoir le blues. »

IMAGE FOURNIE PAR ALLARY ÉDITIONS

Planche tirée de L’Arabe du futur, Allary Éditions

Malgré l’humour du bédéiste (présent dans tout l’album), il y a tout de même des passages éprouvants dans la conclusion de son histoire. Est-ce qu’il y a eu des épisodes plus difficiles à raconter ?

« Les cinq premiers tomes ont été prédécoupés au crayon, je les faisais lire par mes lecteurs de confiance, et je les dessinais à l’encre. Pour le sixième, ç’a été différent, parce que je me suis cassé le bras, donc j’ai pris du retard, j’ai dû dessiner l’album rapidement, en écriture automatique, alors je me suis posé moins de questions. Quand on marche sur des braises, on va plus vite », illustre-t-il.

Entre deux chaises

Toute la série montre le jeune Riad tiraillé entre ses deux origines (syrienne et française), deux cultures en quasi-opposition.

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Je voulais raconter par mon propre exemple l’adulte que j’étais devenu par mon éducation, et comment j’ai pu dépasser ça. Étant de deux origines différentes, musulmane syrienne par mon père, bretonne par ma mère, il était impossible pour moi d’allier les deux. J’avais un conflit de loyauté, il y avait quelque chose d’aberrant à choisir entre les deux. Très tôt, j’ai rejoint le peuple des gens qui font des livres.

Riad Sattouf

Riad Sattouf aime bien cette citation de Salman Rushdie : « Un homme n’a pas de racines, il a des pieds. » « C’est l’histoire de L’Arabe du futur, nous dit-il. On n’est pas condamné par ses propres origines. On peut toujours aller de l’avant. On peut avoir l’impression de grandir avec des tares, mais ça ne nous empêche pas de nous accomplir. »

Et le destin, dans tout ça ? Le fameux mektoub ? Que son père lui chuchote d’ailleurs à l’oreille (dans son inconscient). « Je pense que c’est Carl Jung qui disait : “Tous les phénomènes inconscients, les névroses et les émotions refoulées reviendront un jour nous hanter et on appellera ça le destin.” Honnêtement, je pense qu’on peut tout dépasser ça. »

Récit personnel

Il reste que c’est la guerre civile en Syrie (en 2011) qui a donné l’impulsion à Riad Sattouf de raconter sa jeunesse, même s’il s’est gardé de rentrer dans trop de détails politiques. « Je voulais être au plus près des évènements qui se sont passés, comme je les ai vécus, sans mettre de l’avant une idéologie. La vie est plus complexe. Mon personnage raconte son quotidien, sa vie, et il essaie de comprendre, c’est tout. »

Riad Sattouf le raconte aussi dans le tome 6 de L’Arabe du futur, il a été influencé par le Livret de phamille de Jean-Christophe Menu, qui y raconte son quotidien.

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Planche tirée de L’Arabe du futur, Allary Éditions

« C’est la première fois que je lisais un album autobiographique écrit sur un ton caustique, mais émouvant, qui racontait une histoire familiale au quotidien, nous dit-il. C’est sûr que ce mode narratif m’a intéressé. Quand j’ai fait L’Arabe du futur, je me suis imaginé que ma première lectrice était ma grand-mère bretonne qui ne lisait pas de BD. Je pense que c’est ce qui m’a permis de toucher autant de gens. »

On aborde avec l’auteur la traduction de L’Arabe du futur en 22 langues… sauf en arabe. Il y a bien eu des discussions avec un éditeur égyptien, mais le projet est tombé à l’eau lorsqu’il a voulu traduire uniquement le premier album.

Pour Riad Sattouf, L’Arabe du futur est un tout, les six tomes doivent être disponibles. Mais au-delà de ça, l’auteur s’interroge sur « la sortie d’un livre dans un pays totalitaire ». « Si la liberté d’expression est inexistante, est-ce que ça veut dire que l’éditeur est proche du pouvoir ? C’est compliqué… Si un éditeur souhaite traduire la série, j’examinerai la proposition, mais personne ne s’est encore montré intéressé. »

Au bout du compte, après six tomes, quelle interprétation Riad Sattouf fait-il de son titre, L’Arabe du futur ?

L’auteur nous répond par une citation du cinéaste David Lynch, qu’il adore. « On lui avait posé la même question à propos du titre de son film Lost Highway. Et il avait répondu : “The answer is very simple. It’s the movie !” Donc L’Arabe du futur, ce sont les six tomes que j’ai écrits et dessinés ! », répond-il dans un éclat de rire.

En librairie dès le 6 janvier.

L’Arabe du futur 6

L’Arabe du futur 6

Allary Éditions

184 pages