(Québec) Une semaine à peine après la mort du chanteur Karl Tremblay, certains diront que la comédie musicale des Cowboys Fringants créée par Les 7 Doigts arrive trop tôt. D’autres, qu’elle arrive à point nommé…

Le spectacle lancé mercredi au Grand Théâtre de Québec est tout de même en préparation depuis plus de deux ans. Mais dans le contexte actuel, il ne pouvait bien sûr qu’être hautement émotif – que ce soit pour les créateurs, les membres des Cowboys, dont son amoureuse Marie-Annick Lépine, qui étaient présents, ou le public, qui a chanté avec les interprètes, souvent en tapant des mains, parfois les larmes aux yeux.

Loin d’être une hagiographie, Pub Royal célèbre d’abord et avant tout la musique du groupe. Au fil d’une histoire fictionnelle onirique qui ne manque pas d’humour, ce sont 14 chansons qui ont été entonnées au cours de ce spectacle de 90 minutes, dont cinq nouvelles pièces originales des Cowboys.

Avant le début de la représentation, le producteur de La Tribu, Claude Larivée, a dédié la première médiatique de jeudi « à notre cher Karl », qu’il accompagnait depuis ses débuts, tandis que le metteur en scène des 7 Doigts, Sébastien Soldevila, qui a signé le livret, nous a assuré que le spectacle était présenté « tel qu’il a été conçu », c’est-à-dire qu’il n’a pas été retouché depuis la semaine dernière.

À l’arrivée des membres du groupe, le public s’est d’ailleurs levé d’un bond pour les applaudir, des gens dans la salle ont même lancé : « On vous aime ! » ou encore « Merci pour tout, les Cowboys ! »

Il n’empêche que le parolier Jean-François Pauzé, qui a composé les nouvelles pièces – qui se retrouveront sur le prochain album des Cowboys –, savait que son ami Karl était dans les câbles et qu’il avait peu de chances de s’en sortir. Il a écrit au moins une chanson qui aborde son départ de manière frontale. Et ça frappe fort.

« Ce soir, je suis l’ombre de moi-même, c’est déjà le terminus, je suis fatigué, je peux pus chanter […] Le chanteur a donné son dernier show, je n’ai plus besoin qu’on m’éclaire, je sors par la porte d’en arrière… », chante dans La fin du show le personnage de Johnny Flash (Martin Giroux), un vieux rockeur qui s’apprête à rendre son dernier souffle et qui est l’alter ego du regretté chanteur des Cowboys…

Mais on vous parle ici de la fin du spectacle… Faisons marche arrière.

Au pub après un accident

Pub Royal fait le récit d’un courtier d’assurance nommé Jonathan Doyer (Richard Charest), qui atterrit dans le célèbre pub de la chanson du même nom (que l’on retrouve sur l’album Octobre) à la suite d’un accident de voiture.

Le numéro d’ouverture – si critique dans les comédies musicales – donne le ton. La troupe composée d’une vingtaine d’artistes – sept chanteurs et acteurs, sept danseurs et six acrobates – interprète une nouvelle pièce (très festive !) des Cowboys intitulée Bienvenue chez nous, qui s’étire sur près de huit minutes, menée par le chanteur Kevin Houle dans le rôle de Siriso, une sorte d’intelligence artificielle masculine.

La suite est une succession de tableaux d’une belle cohérence musicale qui se passent à l’intérieur du pub, où l’on retrouve plusieurs des personnages des chansons des Cowboys, dont Loulou Lapierre, cette « p’tite mère ben ordinaire » dans Joyeux calvaire !, la Catherine qui s’est trouvé une job de serveuse dans Pub Royal, ou encore Normand et Yves, nouveaux chômeurs dans la cinquantaine qui noient leur peine dans Shooters.

Ce qui relie tous ces personnages ? C’est là que l’équipe de création menée par Sébastien Soldevila, avec l’aide d’Olivier Kemeid aux dialogues, a été assez inventive.

Car par un malheureux concours de circonstances (qu’on vous laisse le soin de découvrir), tout ce beau monde a basculé dans un métavers, à la frontière du monde physique et virtuel, dans une sorte de purgatoire.

Le personnage de Jonathan ne peut donc quitter le pub, « un refuge » où l’on chante allègrement – sa joie comme sa peine. La plupart des pièces choisies par les Cowboys et l’équipe de création sont d’ailleurs plutôt festives (Joyeux calvaire !, Shooters, La traversée, Si la vie vous intéresse…), même s’il y a bien sûr des moments plus touchants, surtout vers la fin, avec la poignante La fin du show, Plus rien et Les étoiles filantes.

Un grand frisson nous parcourt le dos lorsqu’ils se mettent à quatre, cinq ou six pour chanter les pièces des Cowboys. Parce qu’on ne remplace pas facilement la voix familière, tantôt révoltée, tantôt bienveillante, mais toujours vraie de Karl Tremblay. On a donc un peu l’impression que cette troupe d’artistes vient soutenir, avec beaucoup de cœur, les membres des Cowboys. C’est émouvant.

Mais quand les pièces sont chantées en solo, que voulez-vous, il vient de nous quitter, c’est plus difficile à recevoir, même si les performances solos sont en général assez solides. Qu’il s’agisse de Kevin Houle dans D’une tristesse, de Richard Charest dans Les maisons toutes pareilles ou encore d’Alexia Gourd dans Pub Royal, qui chante de tout son soûl. Seule l’interprétation d’Yvan Pedneault dans L’Amérique pleure, peut-être trop chargée émotivement en ce moment, passe moins bien.

Spectacle complet

Côté mise en scène, chapeau à l’équipe qui a réussi à imbriquer de subtile manière la danse et le cirque sans que ce soit lourd ou qu’on se dise : tiens, voici un numéro de mât chinois. Non, il y a une intégration complète des arts de la scène dans Pub Royal, qui est assez fabuleuse, le cirque ajoutant juste assez de piquant pour rehausser les performances.

Le dernier segment, dont nous parlions au début, est tellement proche de la réalité, dans le destin tragique du personnage de Johnny Flash, qu’on décroche inévitablement de l’histoire de Pub Royal.

Était-ce la façon qu’ont trouvée les Cowboys et l’équipe de création des 7 Doigts de rendre hommage au grand Karl ? On aurait aimé poser la question à Jean-François Pauzé ou Sébastien Soldevila, mais il n’a pas été possible de leur parler.

Au fond, si on avait présenté ce spectacle dans deux semaines, dans un mois ou dans six mois, le résultat aurait été le même. Les pièces des Cowboys appartiennent déjà au public qui les chante depuis plus de 25 ans et les nouvelles seront bientôt livrées. Quant à la voix de Karl Tremblay, comme le dit si bien le personnage de Johnny Flash à propos de la sienne, « ma voix, mes chansons, ça va rester dans le cœur du monde ».

Avec Pub Royal, la vague d’amour pour le chanteur des Cowboys n’est pas près de retomber. Mais le deuil reste à faire.

Jusqu’au 26 novembre au Grand Théâtre de Québec. Du 6 décembre au 6 janvier 2024 au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts à Montréal. Puis en tournée, à Paris, Trois-Rivières, Ottawa et Sherbrooke.

Consultez les dates de la tournée de Pub Royal

Les chansons 

Bienvenue chez nous*

D’une tristesse (Les antipodes)

Joyeux calvaire ! (Break syndical)

Shooters (Que du vent)

Les maisons toutes pareilles (Les antipodes)

L’Amérique pleure (Les antipodes)

Si la vie vous intéresse (La grand-messe)

Entracte

La traversée (de l’Atlantique en 1774) (Les antipodes)

Pub Royal (Octobre)

Loulou vs Loulou*

Les questions sans réponses*

La fin du show*

Plus rien (La grand-messe)

Re-Bienvenue chez nous*

Les étoiles filantes (La grand-messe)

* Nouvelles chansons à paraître sur un nouvel album