Pas moins de quatre spectacles présentés dans le cadre du festival Complètement cirque mêlent théâtre, acrobatie et art clownesque. Un art qui réapparaît sous différentes formes après avoir été boudé pendant quelques années. Explications.

Glob, Julieta, La famille GoldenCrust, L’après-midi tombe quand tes biscuits se ruinent… Montréal Complètement cirque compte au moins quatre spectacles mettant en vedette des artistes clowns. Un contraste avec la programmation des dernières années. Hasard ou coïncidence ?

« Ce n’est pas un hasard », répond le directeur général et artistique de la TOHU et du festival Complètement cirque, Stéphane Lavoie.

« On avait vraiment la volonté de présenter ce travail-là, nous explique-t-il. Notamment le spectacle Julieta, que nous coproduisons. Il ne faut pas oublier que le clown a une liberté qui lui permet de faire tomber les barrières et de nous emmener dans des zones très émotives. Dès qu’il met le pied sur scène, on est ailleurs. »

Depuis les 50 dernières années, l’art clownesque au Québec a connu plusieurs vagues… et creux de vagues.

Les références ont aussi beaucoup changé. De Rodrigue « Chocolat » Tremblay ou Sonia « Chatouille » Côté, à Philippe Trépanier ou Krin Haglund, en passant par Reynald Bouchard, Yves Dagenais ou Nathalie Claude, le jeu clownesque a connu plusieurs incarnations.

Le clown au nez rouge, par exemple, est aujourd’hui beaucoup plus discret sur nos scènes. Les compagnies de cirque mettent plutôt de l’avant des acrobates ou des acteurs qui font du théâtre physique ou de la comédie acrobatique. Même le Cirque du Soleil travaille maintenant avec des clowns « sans nez ».

En retirant le nez rouge, on enlève une part du cliché et du préjugé qu’on associe aux clowns pour enfants. La vérité est que le clown peut nous faire vivre des émotions très profondes. Il peut soulever des questions philosophiques, nous faire réfléchir. Comme les marionnettistes d’ailleurs.

Stéphane Lavoie, directeur général et artistique de la TOHU et de Complètement cirque

« Malheureusement, nous n’avons pas beaucoup de modèles de clowns “pour adultes” au Québec, regrette le directeur artistique de Complètement cirque. Il y a eu Sol, bien sûr [le regretté Marc Favreau], mais c’est à peu près notre seule référence, tandis qu’en Europe ou en Amérique du Sud, il y a beaucoup plus d’exemples. »

Pénurie de clowns

Depuis 2015, l’École nationale de cirque de Montréal (ENC) n’offre d’ailleurs plus de spécialité en clown, préférant offrir un cours de jeu clownesque à l’ensemble de ses élèves. Un choix qui a nécessairement eu un impact sur le nombre d’artistes qui pratiquent cette discipline.

« C’était devenu de plus en plus difficile de recruter des jeunes dans ce parcours, nous dit le directeur général de l’ENC, Éric Langlois. C’est aussi une spécialité qui exige une certaine maturité étant donné que ton matériel est basé sur tes observations et ta lecture de la société. Or les élèves sont assez jeunes à cette étape-là. »

Le directeur général de l’ENC n’exclut pas de réintégrer cette spécialité un jour, mais pour le moment, il estime que les élèves bénéficient d’une formation qui contribue à leur polyvalence, un des objectifs de l’École – qui leur offre par ailleurs la possibilité de se spécialiser dans une ou deux disciplines.

PHOTO THIBAULT CARRON, FOURNIE PAR MONTRÉAL COMPLÈTEMENT CIRQUE

Vincent Jutras et Éline Guélat, de La Croustade

C’est le cas d’Éline Guélat, la moitié suisse du duo La Croustade, qu’elle forme avec le Québécois Vincent Jutras. Avec la pièce acrobatique L’après-midi tombe quand tes biscuits se ruinent, l’artiste de cirque diplômée de l’ENC en 2019 mêle sans complexes acrobatie et jeu clownesque.

« Je n’ai pas d’attache émotionnelle à une discipline de cirque, nous dit-elle. Je ne veux pas être mise dans une case, et l’agrès du clown, c’est son nez rouge. Mais c’est aussi quelque chose de sacré, je ne veux pas le porter n’importe comment, je n’ai pas de formation de clown. »

N’empêche. L’artiste, qui fait de la contorsion, de la roue Cyr et du mât chinois, a complètement intégré l’art clownesque à son jeu.

Ce n’est pas un choix stratégique. Je me sens clown par dépit. C’est comme un appel. En même temps, je pense que le clown a sa raison d’être. C’est comme un retour à l’enfance. Les gens en ont besoin. Surtout en ce moment, ça va tellement mal dans le monde, qu’il nous aide à prendre un pas de recul et même à rire de certaines choses. Ça nous prend ce regard qui vient de la planète clown.

Éline Guélat, artiste de cirque

Dans Biscuits, premier spectacle de La Croustade, le duo qui danse et multiplie les acrobaties s’amuse à faire des parallèles entre le monde de l’enfance et celui des adultes. « Comment se fait-il qu’enfant, on adore faire la cuisine, mais qu’adulte, on trouve ça horrible ? Pourquoi on a arrêté de jouer ? On soulève ce genre de questions », indique Vincent Jutras.

Comme un miroir

L’artiste de cirque mexicaine Gabriela Muñoz (qui vit aujourd’hui en Finlande) croit, elle aussi, en cette nécessité d’être exposé au regard oblique du clown. La perte de sa grand-tante Julieta, de qui elle était très proche, puis de son papa, Jaime, avec qui elle partageait le même humour, lui ont inspiré l’écriture de Julieta, qui s’intéresse à notre vieillissement. Un spectacle non verbal qu’elle interprète avec tendresse et humour.

« Le clown est un miroir de la société, et plus que jamais les gens ont besoin d’espaces où ils peuvent voyager, dans leur tête et dans leur cœur », estime-t-elle. Depuis quelques années, le métier de clown a évolué dans le bon sens, croit-elle, surtout pour les femmes, qui ont toujours eu de la difficulté à percer ce milieu dominé par les hommes.

L’archétype du clown est masculin. Les femmes sont plus des muses. Mais les choses commencent enfin à changer. Et les femmes, qui au début ne faisaient qu’imiter les hommes, font maintenant les choses à leur manière. Elles racontent leurs histoires en se servant du jeu clownesque, c’est très différent.

Gabriela Muñoz, artiste de cirque

La plupart des clowns d’aujourd’hui ont donc rangé leur nez rouge, mais pas tous. Le fondateur des Foutoukours (prononcer d’un seul souffle pour apprécier le jeu de mots), Rémi Jacques, est un de ceux-là.

PHOTO AC_PHOTOGRAPHE, FOURNIE PAR MONTRÉAL COMPLÈTEMENT CIRQUE

Jean-Félix Bélanger et Rémi Jacques dans la pièce Glob

Ce clown-acrobate, qui présente cet été avec son complice Jean-Félix Bélanger la pièce Glob, reconnaît que la forme est en constante évolution, mais il privilégie toujours les codes classiques du clown – rouge, blanc, noir, etc. – en prenant soin d’explorer dans chaque spectacle toutes les textures de cet art.

Je suis un puriste. Quand je porte le nez, ça vient avec une responsabilité, sinon c’est de l’humour ou de la comédie acrobatique. Mais en même temps, plus il y a une diversité de clowns, plus on peut en parler, donc c’est positif.

Rémi Jacques, artiste de cirque

Son spectacle muet – présenté au festival d’Avignon l’été dernier – est, selon lui, un croisement entre la pièce En attendant Godot et le spectacle Slava’s Snowshow (du clown russe Slava Polunin). Deux personnages attendent on ne sait trop quoi dans un espace tout aussi mystérieux, dont ils sont prisonniers…

« Quand les gens sortent de la salle, ils se racontent des histoires complètement différentes, c’est ce que je trouve intéressant. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Image du spectacle La famille GoldenCrust, du duo les Deux de pique

Il y a enfin les Deux de pique, Philippe Trépanier et Tamara Bousquet, qui représentent leur spectacle clownesque La famille GoldenCrust, une comédie burlesque mettant en scène un couple de snowbirds. Peu importe la forme, Stéphane Lavoie veut prendre le risque de programmer ces pièces-là.

« C’est toujours un risque, dit-il, à cause des préjugés que les gens entretiennent sur les clowns, mais il faut le prendre. » Une décision qui encouragera certainement les artistes se consacrant à cet art. « C’est archi difficile pour nous, conclut Rémi Jacques, parce que ça peut nous prendre deux ou trois ans pour concevoir une nouvelle création. Mais on est toujours heureux de pouvoir enfin présenter notre travail. »

Julieta est présenté du 7 au 15 juillet à la Maison Théâtre.

Glob est présenté les 8 et 9 juillet à la Maison Théâtre.

La famille GoldenCrust est présenté gratuitement du 8 au 16 juillet à l’extérieur de la Tohu.

L’après-midi tombe quand tes biscuits se ruinent est présenté du 11 au 15 juillet à la Maison Théâtre.

Consultez le site de Montréal Complètement cirque