Les plus âgés ont dépassé le cap de la cinquantaine ; les plus jeunes affichent leur vingtaine vibrante. Trois générations de danseurs de streetdance sont rassemblées autour du chorégraphe québécois Crazy Smooth pour le spectacle In My Body, dans lequel les corps de tout âge s’exposent à l’unisson.

Dans la salle de répétition, quelques jours avant la première, le contraste est frappant. Les danseurs s’échauffent au rythme que leur dicte leur corps. Pendant que les plus jeunes multiplient les figures acrobatiques, les plus vieux se délient doucement les muscles encore raides en cette fin d’après-midi.

Mais il règne ici une ambiance de camaraderie qui transcende les générations. La musique hip-hop emplit l’espace. Les accolades sont nombreuses et senties.

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Crazy Smooth, en bleu, au centre, entouré des danseurs DKC Freeze, Tash et JC Fresh

Destin

Crazy Smooth (Yvon Soglo de son vrai nom) a choisi les interprètes avec soin pour créer son plus récent spectacle. Il raconte : « In My Body est né d’une réflexion que je porte depuis longtemps. Dans la carrière d’un artiste de streetdance, il arrive un moment où, à cause d’une blessure, ton corps t’oblige à arrêter. Moi, ça m’est arrivé quatre fois : j’ai eu quatre opérations aux genoux... »

À chacun de ces arrêts forcés, une réflexion s’est imposée, notamment sur les choix de carrière, voire les choix de vie qu’il avait faits. « J’habite à Gatineau, une ville où beaucoup de gens travaillent pour le gouvernement fédéral. Les carrières d’artiste sont moins communes qu’à Montréal. Il y avait une énorme pression sur moi pour obtenir une sécurité d’emploi, un fonds de pension... Je me demandais où je m’en allais. »

Rapidement, il a découvert que ces réflexions sur la façon de continuer son art malgré les blessures ou le vieillissement du corps étaient largement partagées dans sa communauté. « La réflexion est différente selon l’âge des danseurs. Des danseurs âgés dansent mieux qu’avant. Des jeunes ont le corps plus magané que les vieux. Il y a une multitude de perspectives face à cette question. »

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Ex-artiste du Cirque du Soleil, Tash continue de pratiquer le streetdance à l’âge de 52 ans.

Le danseur et chorégraphe de 43 ans a décidé de bâtir son spectacle autour de ces perspectives diverses avec des danseurs aux âges variés. L’aîné du groupe, DKC Freeze, a 58 ans. Le plus jeune, JC Fresh, en a 26. Dans In My Body, les neuf interprètes, Crazy Smooth inclus, participent à des numéros de groupe, des trios ou des duos sur une musique originale signée DJ Shash’U. Au programme : du breaking surtout, mais aussi du house, du popping, ponctué parfois de spoken word. « Des vidéos projetées sur les danseurs, faites par l’entreprise mirami, permet d’amener le spectateur à l’intérieur de nos corps, pour découvrir les crimes et la guerre qu’on leur fait subir. »

La sagesse des prédécesseurs

Pour Crazy Smooth, chaque génération a apporté sa pierre à l’édifice que constitue ce spectacle, primé par de nombreux prix, notamment après son passage à Toronto.

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Le danseur et chorégraphe Crazy Smooth

Les plus âgés servent de guides. Sans eux, ce serait le cirque ; on inventerait des choses sans âme, sans tenir compte de nos racines. Les plus jeunes apportent le feu, l’énergie, qui est essentielle. Et ma génération, qui est entre les deux, sert de pont. Sans nous, il y aurait plus de frictions.

Crazy Smooth

Accepter le vieillissement du corps peut être particulièrement difficile pour les artistes de streetdance. « Le streetdance vient de la culture hip-hop qui est une culture de jeunes, créée par des jeunes de 13 ou 14 ans. Elle a la vivacité de l’adolescence. Or, la vie nous fait évoluer. Elle nous transforme. On a des enfants, on peut faire une dépression, vivre un divorce, changer de carrière.

« À 21 ans, j’ai fait un spectacle avec DKC Freeze. Je lui ai dit : “Moi, je suis un B-Boy for life !” Lui était dans la fin trentaine. Il m’a dit de me calmer, qu’il avait vu plein d’autres danseurs avec mon énergie quitter le milieu. Garder la passion au travers des évènements de la vie qui te frappent n’est pas donné à tous. »

« Le vieillissement dans le monde du streetdance m’a toujours intéressé. J’ai toujours admiré la sagesse dans la gestuelle de ceux qui ont plus d’expérience. Ils arrivent à faire beaucoup avec peu. »

Cette admiration pour ses prédécesseurs, Crazy Smooth l’attribue notamment à ses origines béninoises. « Chez nous, les aînés valent cher. On les écoute. Il y a une leçon à aller chercher dans leur expérience. C’est pareil dans le breaking, qui est une culture de Noirs et de Latinos. On respecte les aînés. Ici, ce n’est pas pareil. On met souvent les aînés à l’écart, sans dignité à mon avis. Ils doivent faire partie de notre société. »

In My Body est présenté à la salle Ludger-Duvernay du Monument-National les 2, 3 et 4 juin.

Qui est Crazy Smooth ?

Yvon Soglo de son vrai nom. Est chorégraphe, danseur, entraîneur et enseignant. Il pratique le streetdance depuis 1997.

Âgé de 43 ans, il a fondé en 2004 la compagnie Bboyizm, dont il assure également la direction artistique.

Il est régulièrement juré à l’occasion de compétitions de streetdance tenues en Amérique du Nord et en Europe.

Originaire du Bénin, il est arrivé au Québec à titre de réfugié et est aujourd’hui résidant de Gatineau.