On a vu Louis-Jean Cormier sur scène assez souvent pour savoir qu’il ne déçoit jamais les attentes. Ce qui serait surprenant de sa part serait un mauvais spectacle, mais il réussit à nous étonner avec ce nouveau solo qui s’est arrêté jeudi soir au Théâtre Outremont pour la première de deux représentations. Un tour de force qui nous fait revenir à l’essence de la musique : un chanteur, une guitare, de la lumière, un public.

Par sa présence concentrée et sa maîtrise de son instrument, Louis-Jean Cormier habite la scène complètement et n’a jamais l’air « seul ». Rares sont les artistes capables de tenir une salle ainsi pendant pratiquement deux heures, à l’ancienne finalement, comme l’auraient fait Brassens ou Félix Leclerc, dont il est le digne héritier chansonnier.

Sans nouveau matériel, mais riche d’un répertoire qui lui permet d’y tracer de nouveaux chemins, Louis-Jean Cormier s’est lancé l’automne dernier dans ces Passages secrets 2 Passages secrets étant le titre de son premier excellent solo d’il y a six ans. Mais celui-ci est peut-être encore plus minimaliste et intime, ce qu’on ne croyait pas vraiment possible, et tranche avec sa tournée avec musiciens qui vient à peine de se terminer, et qui était à la fois dansante, rock et planante.

Pendant toute la durée du spectacle, l’auteur-compositeur-interprète reste donc debout planté au centre de la scène, et chante pratiquement sans interruption une vingtaine de chansons. Il ne change même pas une seule fois de guitare, et il tient le rythme sans l’aide d’une pédale ou d’une machine, mais seulement avec le bruit amplifié de ses pieds sur une planche.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Louis-Jean Cormier dans un spectacle sans artifices

C’est peu et c’est volontairement dépouillé, et pourtant, le son dans toute sa richesse remplit tout l’espace. Le chanteur crée des effets avec sa voix qu’il module à volonté, produit avec un seul mini-silence un saisissant effet de syncope dans une mélodie, plaque des accords ou caresse sa guitare selon les besoins, autant d’infimes nuances qui changent tout, captent l’attention et tiennent en haleine.

« Outremont, tu auras peut-être l’impression ce soir d’avoir entendu une seule chanson », avertit le chanteur après avoir enchaîné en début de spectacle deux pièces de ses plus récents albums, L’au-delà et La photo, nous encourageant à applaudir un peu n’importe quand. Et c’est vrai que sa manière de lier les chansons les unes aux autres crée un vortex musical riche et enivrant, mais qui rend difficile toute manifestation d’appréciation ou d’enthousiasme.

On est plus dans l’écoute active et la communion ici, dans une ambiance douce et feutrée appuyée par la scénographie et les éclairages de Mathieu Roy, qui créent des effets subtils d’ombres et de formes mouvantes à partir de seulement deux panneaux installés de chaque côté du chanteur.

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Louis-Jean Cormier est en tournée partout au Québec avec ce spectacle solo.

Dans son désir de laisser la musique s’immiscer dans chaque recoin de nos esprits, contrairement à son habitude, Louis-Jean Cormier est avare d’interventions. Les chansons se fondent les unes aux autres et il les enchaîne sans les présenter, mélange les époques et les albums, passe d’une plus discrète des Grandes Artères (Tête première) à une inattendue de Karkwa (Échapper au sort) en passant par une peu connue (Même les loups versent des larmes de joie, tirée de l’album collectif 1969). Il est aussi capable d’augmenter la pression à lui tout seul avec les Bull’s Eye, St-Michel ou 100 mètres haies, tout comme de cristalliser l’émotion avec Croire en rien et Tout croche, un doublé qui arrache quelques larmes.

« C’est un spectacle qui me touche », nous dit l’auteur-compositeur-interprète avant de passer à une demande du public – pour nous jeudi, Le bon sens, de Karkwa. « J’ai l’impression d’être tout nu. »

C’est vrai que cette soirée « plus en poésie qu’en décibels » est un exercice périlleux, qui met en évidence un répertoire quand même sombre, rempli d’amours compliqués, de deuils, de regrets et de doutes existentiels. Le chanteur ne peut faire autrement que de s’y dévoiler et nous ouvre « entre les notes et les mots » un passage secret à l’intérieur de lui, a-t-il expliqué avec humour.

Mais ce chemin se fait aussi dans les deux sens. Avant de terminer la soirée avec La seule question et de nous laisser « réintégrer » nos corps, Louis-Jean Cormier a dédié une chanson de Vigneault, Quand vous mourrez de nos amours, à un de ses oncles qui vient de mourir, un an exactement après sa femme. Et c’est toute une salle, à l’exact diapason avec lui depuis déjà deux heures, qui lui a alors ouvert son cœur en échange.

Consultez le site web de Louis-Jean Cormier