Fred Pellerin sillonne le Québec de bord en bord pour raconter les histoires de son village depuis plus de 20 ans déjà. Alors que son nouveau spectacle La descente aux affaires en est à ses premiers pas, nous avons accompagné le populaire conteur dans une journée de tournée type.

L’horaire

Salaberry-de-Valleyfield, fin d’après midi vendredi dernier. On retrouve Fred Pellerin dans la loge de la salle de spectacle qui jouxte le cégep. Le conteur est parti tôt de Saint-Élie-de-Caxton, en Mauricie, où il vit « dans le bois » – le plus proche voisin est à 1,5 km de chez lui ! Il a roulé en pleine tempête et a fait un arrêt à Montréal pour deux activités professionnelles avant de filer vers sa destination, dans l’ouest de la Montérégie. « Souvent, les jours de spectacle, je me rajoute plein d’affaires, ce qui me garde des cases blanches ailleurs », dit Fred Pellerin, qui explique qu’il a deux vies séparées, « une très retirée, et une autre publique, faite de spectacles, de rencontres, de moments de création ». D’ailleurs, il ne retournera chez lui que trois jours plus tard, puisqu’il doit donner un autre spectacle le samedi à Salaberry-de-Valleyfield, puis un le dimanche à Drummondville. « Ça prend deux heures et demie, rentrer chez moi, ça ne vaut pas la peine. Mais le temps d’hôtel et le temps de loge, pour moi, c’est du beau temps d’écriture. »

L’équipe

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Le concepteur-éclairagiste Martin Boisclair et le directeur de tournée et sonorisateur Steve Branchaud

C’est l’heure du test de son, qui est à la fois efficace et bon enfant. Fred Pellerin tourne avec une petite équipe : son directeur de tournée et sonorisateur Steve Branchaud, qui est avec lui depuis ses débuts sur scène en 2001, et le concepteur-éclairagiste Martin Boisclair, un gars de Saint-Élie, qui le suit depuis 2009. « Avec Steve, ça fait 22 ans qu’on est assis dans la van... L’accumulation d’affaires qui nous sont arrivées, d’anecdotes, c’est vraiment incroyable ! Ça nous soude, et au-delà du travail, ça devient des amitiés aussi. C’est drôle, nos vies sont séparées par cycles de quatre ans, par tranches de tournée ! »

Le temps

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Parmi les tâches à faire avant le spectacle : repasser sa chemise !

La tournée La descente aux affaires, qui a commencé à l’automne 2022, devrait durer jusqu’à la fin de 2025, donc pas loin de quatre ans, comme ses précédentes. Pas question cependant de s’imposer un rythme aussi chargé : il est passé de 120 à 70 représentations par année, y compris les sauts en Europe – il se dirige donc vers quelque chose comme 250 spectacles plutôt que les 350 à 400 habituels. Fred Pellerin se réserve aussi de longues périodes inactives, intercalées avec des semaines plus remplies. « Mais ce n’est pas pour écouter Netflix, là ! À côté de ça, j’ai ma truffière, ma cabane à sucre, ma forêt, mes enfants, mes amis, mes amours... »

Comme bien des gens, l’arrêt pandémique a secoué Fred Pellerin, qui ne voulait surtout plus « repartir comme avant », plus conscient que jamais de la « finitude des choses ».

J’ai aussi une enfant qui a été très malade. Le temps qui est compté, il est pas compté égal pour tout le monde. Ce n’est plus théorique pour moi. Ça génère un sentiment d’urgence à faire les choses, à ne rien faire des fois, et à faire les bonnes choses.

Fred Pellerin

Le temps est d’ailleurs le thème de ce nouveau spectacle, un sujet qui le hante quotidiennement depuis toujours. « Ç’a été longtemps une source d’angoisse. Jusqu’au jour où je l’ai viré à l’envers pour en faire quelque chose de stimulant plutôt que contraignant. »

Le public

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En 22 ans, Fred Pellerin a vu le Québec changer et évoluer. « C’est un grand privilège quand on fait de la tournée, parce qu’on y retourne tous les quatre ans. On voit les nouvelles œuvres murales, le café artistique qui vient d’ouvrir, la shop qui a fermé et qui est devenue un incubateur industriel. Si tu fais le tour du Québec une fois, tu as un portrait. Mais nous, ce qu’on a, c’est un film. »

C’est une tradition, à moins que ce soit le début de la semaine et que tout soit fermé, Fred Pellerin va souper au resto avec son équipe avant le spectacle. « Et on mange bien. En masse ! » Pendant le repas, on jase tranquillement, on en profite pour se donner des nouvelles des enfants qui grandissent, des projets en cours. En sortant du resto, trois couples attablés sourient au conteur et l’apostrophent : ils s’en viennent voir le spectacle tout à l’heure. « Ça arrive tout le temps ! »

Le conteur a établi avec le public partout au Québec une relation privilégiée. On lui donne des cadeaux, on lui raconte des histoires, on l’invite pour un verre ou un tour d’hélicoptère. Cette proximité incroyable fait en sorte qu’il remplit ses salles sans vraiment investir dans la promotion. « Depuis 2006, je n’ai jamais joué devant une salle pas pleine. À Montréal, on va faire 10 sold-out à Maisonneuve et on n’a pas joué un soir encore ! » Il mesure sa chance, et ne tient rien pour acquis. « Je sais le privilège, passé 20 ans, de voir mes salles afficher complet. Chaque tournée je me dis que la magie est peut-être passée, que je vais en faire moins. Mais il y a vraiment un truc qui s’est bâti avec les années. »

Le texte

  • De retour dans la salle pour mener un ultime test de son, accorder sa guitare, mettre son verre de jus sur un tabouret. « C’est le dernier plaçage de ma petite bulle. D’un coup que quelqu’un a joué avec les boutons ! » À 19 h 30, le conteur et son équipe « libèrent » la salle, pour qu’on puisse commencer à laisser entrer le public.

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    De retour dans la salle pour mener un ultime test de son, accorder sa guitare, mettre son verre de jus sur un tabouret. « C’est le dernier plaçage de ma petite bulle. D’un coup que quelqu’un a joué avec les boutons ! » À 19 h 30, le conteur et son équipe « libèrent » la salle, pour qu’on puisse commencer à laisser entrer le public.

  • Dans les loges, c’est l’heure de boire du thé et de manger quelques chocolats. « Regarde, c’est ça, le spectacle ! », dit Fred Pellerin en nous montrant deux feuilles imprimées en format schématique et remplies d’ajouts à la main pas vraiment clairs. « Ça me prend un an pour arriver à ça ! » C’est que le conteur ne monte pas sur scène avec un texte « écrit ». Il connaît la structure de son histoire et surtout, il sait très bien où il s’en va. Mais la place à l’improvisation est grande. « Il n’y a aucune phrase apprise, sauf la première. »

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    Dans les loges, c’est l’heure de boire du thé et de manger quelques chocolats. « Regarde, c’est ça, le spectacle ! », dit Fred Pellerin en nous montrant deux feuilles imprimées en format schématique et remplies d’ajouts à la main pas vraiment clairs. « Ça me prend un an pour arriver à ça ! » C’est que le conteur ne monte pas sur scène avec un texte « écrit ». Il connaît la structure de son histoire et surtout, il sait très bien où il s’en va. Mais la place à l’improvisation est grande. « Il n’y a aucune phrase apprise, sauf la première. »

  • Avec seulement une quarantaine de spectacles dans le corps, Fred Pellerin est toujours à l’étape de s’amuser à « ouvrir des portes » et à taper le chemin du conte. « Plus tard, j’aurai plus de trails. Plus ça va aller, plus les choses vont figer… à peu près. Parce que quand je fige trop, je m’énarve ! Alors je me lance des défis pour casser ce qui est trop routinier. »

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    Avec seulement une quarantaine de spectacles dans le corps, Fred Pellerin est toujours à l’étape de s’amuser à « ouvrir des portes » et à taper le chemin du conte. « Plus tard, j’aurai plus de trails. Plus ça va aller, plus les choses vont figer… à peu près. Parce que quand je fige trop, je m’énarve ! Alors je me lance des défis pour casser ce qui est trop routinier. »

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Le spectacle

Il est presque 20 h, c’est l’heure de monter sur scène. La salle de 850 places est pleine d’un public déjà conquis et heureux de retrouver la faune de Saint-Élie-de-Caxton : Méo le coiffeur, le curé du village, madame Gélinas qui a eu 473 enfants, le forgeron et sa fille la belle Lurette, tous ces personnages qui font maintenant partie de l’imaginaire populaire.

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Un coup d’œil sur la salle, juste avant de monter sur scène

Dans La descente aux affaires, qui tourne autour de Toussaint Brodeur et de sa femme Janette, le propriétaire du magasin général, homme d’affaires ratoureux et gratteux notoire, ne manque pas d’imagination pour accumuler toujours plus d’argent et de biens, et c’est fort drôle. Mais quand, devant l’inéluctable, il voudra faire reculer le temps d’une seule petite seconde, il se rendra bien compte que tout ne s’achète pas...

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Le public retrouve l’univers du conteur avec bonheur.

On est bien chez Fred Pellerin ici et c’est tant mieux, avec un petit peu de surnaturel, de l’exagération en masse, de l’humour fin et parfois moins fin – dont un passage scatologique franchement réjouissant ! –, beaucoup de jeux de mots, quelques chansons bien choisies, bien placées et magnifiquement interprétées, et de l’émotion à la clé quand, tel un magicien, il attache ensemble tous les fils de son conte.

« Je pensais que j’avais écrit un conte sur le temps, mais je réalise de plus en plus que c’est aussi un conte sur l’amour », confie Fred Pellerin en fin de spectacle.

Toujours avec un parfait dosage entre la légèreté et la charge émotive, la magie du conteur de Saint-Élie opère encore et on ressort sous le charme de ce spectacle de plus d’une heure et demie, réconforté par sa drôlerie et sa tendresse inimitables.

La scène

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Fred Pellerin lors de son spectacle à Salaberry-de-Valleyfield la semaine dernière

Quand Fred Pellerin a repris la route avec son nouveau spectacle l’automne dernier, il n’avait pas réalisé à quel point la tournée lui avait manqué. Il a même pensé pendant la pandémie qu’il serait capable de s’en passer. « J’ai beaucoup écrit et créé, je me disais que j’arrivais à trouver mon affaire quand même... Mais quand je me suis retrouvé sur scène, je me suis rendu compte qu’il y a un gros bout de moi qui existe juste là. Cette surstimulation, ce rapport au public, ce truc unique qui se vit chaque soir, cette énergie, cette magie... cette affaire-là, elle se retrouve pas ailleurs. »

Changer d’hôtel chaque jour, vivre dans ses valises avec « une vie qui part et l’autre qui reste », tous les inconvénients sont vite oubliés face à cette intensité qui le nourrit depuis 22 ans. C’est qu’à ce rythme, la route finit par « nous prendre », dit-il. « Je ne le ferais pas sinon. Et quand tout le reste devient fatigant, tu entends “stand-by cinq”, et tu oublies tout. »

Consultez le site de la tournée de Fred Pellerin