De retour à l’amphithéâtre Bell pour la deuxième fois en cinq ans, Corteo, du Cirque du Soleil, s’amène (des États-Unis) avec son cortège de clowns et de personnages fantasques. Une des pièces les plus poétiques du Cirque, mise en scène par Daniele Finzi Pasca.

Le nouveau président et chef de la direction du Cirque Stéphane Lefebvre nous le disait en octobre dernier, lors de la présentation du spectacle sous chapiteau de l’été prochain, Echo : il souhaite présenter plus souvent des spectacles existants du Cirque.

Le hasard a fait que Corteo, créé sous chapiteau en 2005 par Daniele Finzi Pasca, a inauguré au Centre Bell son format « aréna » en décembre 2018. Une transposition d’ailleurs tout à fait réussie, ce qui n’est malheureusement pas le cas de tous les spectacles du Cirque. On peut donc se réjouir de cette reprise vue jusqu’à présent par… 8 millions de spectateurs !

Rebelote donc, avec ce Corteo festif qui, à l’époque, marquait un retour du Cirque vers ses racines, dans un univers plus théâtral de fête foraine, avec pas moins de huit clowns et musiciens sur scène.

PHOTO ERIC OGDEN, FOURNIE PAR LE CIRQUE DU SOLEIL

Il y a huit clowns et musiciens dans la pièce acrobatique Corteo.

Un pari audacieux et un contraste frappant avec la production précédente, (lancée à Las Vegas en 2004), signée par Robert Lepage, qui se démarquait par sa scénographie à la fine pointe de la technologie et ses prouesses acrobatiques renversantes – toujours à l’affiche, d’ailleurs.

Attention, les aficionados du Cirque qui n’ont d’yeux que pour ses prouesses ne seront pas entièrement déçus ; il y a bien sûr des numéros de haute voltige dans Corteo (aux sangles, à la planche sautoir, sur une échelle et même sur un lustre !), mais ils s’inscrivent la plupart du temps dans une dramaturgie plus fine et un univers poétique.

Le Corteo (cortège en italien) très fellinien de Finzi Pasca s’ouvre ainsi avec la mort du clown Mauro, personnage central de la pièce, qui ira rejoindre les anges. En fait, notre clown rêveur assistera à ses propres obsèques (festives !) et, grâce à la magie de la scène, il fera un dernier tour de piste avec les membres de sa troupe de cirque avant de s’éclipser.

Un clown et sa clownesse

C’est Gonzalo Muñoz Ferrer qui interprète depuis 2011 le rôle principal du clown Mauro, en alternance avec le personnage original de Mauro Mozzani. « C’était un rêve pour moi de travailler sur ce spectacle », nous raconte ce clown colombien, découvert par Daniele Finzi Pasca, qui l’a d’abord fait jouer dans la pièce Nebbia du Cirque Éloize. « Quand Daniele m’a proposé un rôle dans Corteo, j’ai tout de suite accepté. »

Gonzalo Muñoz Ferrer interagit avec la plupart des membres de « sa » troupe, mais il a une connexion particulière avec la « petite clownesse », interprétée par Valentyna Pahlevanyan, artiste ukrainienne qui mesure un peu plus de 1 m, qui fait partie de la troupe de Corteo depuis sa création, en 2005.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

L’envolée de Valentyna, dite la « petite clownesse », crée tout un émoi dans Corteo.

Ensemble, ils font un des numéros les plus étonnants du spectacle : le numéro de danse hélium, où Valentyna est projetée dans la foule, portée par trois gros ballons gonflés à l’hélium. Pendant plusieurs minutes, elle est redirigée dans l’aréna par les spectateurs qui la poussent à gauche, à droite… « J’adore ce numéro, dit l’artiste atteinte de nanisme proportionné. Les gens me poussent avec amour. Et je peux contrôler mes déplacements. »

Vit-elle parfois des comportements déplacés ?

Une seule fois, un spectateur m’a retenue pour m’empêcher de m’envoler. Mauro, qui était le clown ce soir-là, a vite réagi. Il s’est assis à côté de sa femme. Il lui a dit : “Lâche-la ou j’embrasse ta femme !” La foule riait. Comme il ne me lâchait pas, Mauro a commencé à l’embrasser, alors il m’a lâchée.

Valentyna Pahlevanyan, interprète de la « petite clownesse »

Pour Gonzalo, ce numéro est l’un des plus touchants de Corteo. « J’ai souvent pensé à ma grand-mère en le faisant. Parce qu’au départ, c’est moi qui la projette dans l’espace. C’est une façon de laisser aller les personnes qu’on aime. Et c’est dur ! C’est une belle métaphore de l’amour et de l’importance de vivre le moment présent, parce que rien ne dure. En un claquement de doigts, tout disparaît. »

PHOTO ERIC OGDEN, FOURNIE PAR LE CIRQUE DU SOLEIL

Valentyna et son mari Gregor dans une scène du théâtre de marionnettes Roméo et Juliette

Gonzalo et Valentyna participent à un autre numéro ensemble : celui du petit théâtre de marionnettes, qui présente la pièce Roméo et Juliette. Valentyna et son mari Gregor – aussi une personne de petite taille – sont les protagonistes, tandis que Gonzalo est le metteur en scène. « En fait, rien ne fonctionne comme prévu, dit Gonzalo. C’est un beau contraste avec les numéros du Cirque exécutés à la perfection. C’est très marrant. »

La guerre en Ukraine n’a pas été facile à vivre pour Valentyna Pahlevanyan, qui a tenté de rejoindre sa famille à Odessa, mais sa ville d’origine a été bombardée dès le début de la guerre en février.

« J’ai repris le spectacle, parce que je n’avais pas le choix, je ne pouvais pas retourner là-bas. Nous avions des enjeux de visas aussi, mais je parle à ma famille régulièrement, et ça va, même si c’est difficile pour eux. Vous savez, dit-elle, ce spectacle m’apporte de la joie. Honnêtement, chaque soir, c’est comme si c’est ma première fois. »

Corteo, du 21 décembre 2022 au 1er janvier 2023, au Centre Bell de Montréal.

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