En tournée depuis 2015 avec sa pièce Amok, le Français Alexis Moncorgé s'amène chez nous pour la toute première fois. Entrevue avec un artiste qui a émergé de son mal-être en découvrant un texte sur la folie meurtrière.

L'histoire d'Alexis Moncorgé pourrait être celle d'un personnage de Stefan Zweig. Au début du siècle dernier, l'auteur autrichien a écrit beaucoup de textes au sujet de voyageurs au passé trouble, voire étrange.

« C'est mon bébé, ce spectacle. Je l'ai adapté, produit, joué, dit-il en entrevue téléphonique. Je l'ai écrit dans l'urgence quand je n'étais pas au mieux. Je ne me sentais pas à ma place en tant qu'artiste. Je n'avais presque plus de sous et j'ai tout mis dans ce spectacle. »

Ce quitte ou double, ce geste un peu désespéré, l'aura sauvé. Il célébrera la 300e représentation de la pièce à Montréal.

« Je l'ai écrite comme un amok. C'est un spectacle que j'ai dans la peau. J'ai autant de plaisir à le jouer aujourd'hui qu'avant. Le texte est si dense, si fort que je redécouvre plein de choses en jouant. Mon personnage évolue. Je gagne plus de liberté et je suis dans le lâcher-prise comme acteur, ce qui est jouissif. »

Le mot « amok » vient du malais. Il décrit un état second qu'on pourrait traduire par « agir en fou furieux », comme dans la locution « to run amok » en anglais. Les personnes qui en sont atteintes peuvent devenir violentes et représenter un danger meurtrier pour les autres.

« Ce spectacle a changé ma vie d'homme et d'acteur. Une amie actrice m'avait dit que lorsqu'on touche le fond - je n'avais pas de boulot à l'époque -, c'est là qu'il se passe quelque chose. Je voulais faire un monologue et suis tombé sur ce texte. »

La nouvelle de Zweig fait 140 pages, ce qu'on appellerait un court roman aujourd'hui, et raconte la folie d'un homme qui reconnaît les erreurs qui l'ont poussé dans une course folle vers une fin tragique. Un récit portant sa propre théâtralité.

« Il y a tout ça déjà chez Zweig. Il y a tout ce qu'un héros tragique doit affronter. La descente aux enfers, le climax, le dénouement. C'est une tragédie annoncée. En tragédie, on sait dès le départ que ça va mal finir. »

Pour adapter le texte à la scène, l'acteur soutient qu'il n'a eu qu'à enlever le narrateur de l'histoire. 

« On découvre l'unique personnage à la lueur d'une allumette dans le noir et il est surpris de voir des gens. Il a un secret trop lourd à porter et le confie au public. Le théâtre, c'est le voyage. C'est la mise à nu d'un homme banal à qui il est arrivé quelque chose de pas banal. »

Pièce-voyage

Les péripéties vécues par le personnage font en sorte, selon lui, que le spectateur oublie la fin. La pièce-voyage le transporte au gré d'une âme troublée, meurtrie.

« À mes yeux, Amok est la plus emblématique de ce que sont les thèmes zweigiens : la femme comme animal dangereux et prédateur, l'homme portant en lui-même son propre bourreau et l'amok, la perte de raison dans un amour passionnel. »

En quoi cette pièce nous parle-t-elle à l'ère des dénonciations d'abus de toutes sortes ? lui demande-t-on.

« Dans la colonie de Malaisie, qui est un milieu d'hommes, c'est un personnage de femme forte qui est exposé. En raison des préjugés de la société de l'époque, elle va jusqu'au fin fond de la jungle pour se faire avorter. Elle dit au mec qui veut abuser d'elle : va te faire foutre. Elle l'oblige à se rattraper pour l'erreur qu'il a commise. »

Fin de parcours

Malgré le plaisir ressenti, Alexis Moncorgé sent le besoin de passer à autre chose parce qu'il « faut savoir arrêter », tout simplement. Après Montréal, il présentera Amok à San Francisco, Kuala Lumpur (en Malaisie) et terminera sa tournée mondiale au festival d'Avignon en juillet.

« Je ne suis jamais allé au Canada de ma vie. C'est quand même formidable de pouvoir voyager avec son art. Je viens du Perche, une région d'où des Français sont partis pour aller vivre au Québec au XVIIIe siècle. Vous êtes un peuple que j'adore. J'admire votre attachement à la langue française. J'ai bien hâte de vous voir. »

Petit-fils de Jean Moncorgé (mieux connu sous le nom de Jean Gabin), Alexis Moncorgé n'a rien d'un enfant de la balle. Il se dit plutôt un vrai « rural » puisque ses parents élevaient des chevaux.

« Je n'ai pas grandi sur les plateaux. Je ne suis pas du tout un citadin. Dans ma personnalité et mon travail, je suis très terrien. Je considère le métier d'acteur comme de l'artisanat. Je ne sais pas ce qu'est être artiste. Connais pas. »

À la Cinquième Salle de la Place des Arts du 22 au 25 février

photo fournie par la Place des Arts

Après Montréal, Alexis Moncorgé présentera Amok à San Francisco, Kuala Lumpur (en Malaisie) et terminera sa tournée mondiale au festival d'Avignon en juillet.

Image tirée de Twitter

L'auteur autrichien Stefan Zweig

QUI ÉTAIT STEFAN ZWEIG ?

Né en 1881 à Vienne, en Autriche

Auteur prolifique, surtout de nouvelles, quelques romans, recueils de poésie, essais et biographies

Livres importants : Amok (dont la nouvelle « Amok ou le fou de Malaisie »), Le joueur d'échecs, La pitié dangereuse, La confusion des sentiments

Ami de Sigmund Freud, Richard Strauss, Arthur Schnitzler et Romain Rolland

Fuit la montée du nazisme dans les années 30 vers Londres, puis le Brésil. S'y donne la mort à l'âge de 60 ans en 1942.