Liés dans la vie autant que par la scène, Evelyne de la Chenelière et Daniel Brière nous présentent cette semaine leur plus récente création, Septembre, qu'ils façonnent patiemment depuis un an. Un monologue sur le monde de l'enfance inspiré par le théâtre de la cour d'école.

Décidément, l'école est un lieu qui inspire Evelyne de la Chenelière. L'auteure de Bashir Lazhar nous plonge cette fois dans l'imaginaire d'une mère venue chercher sa fille à l'école, parce qu'elle a (encore) mal au ventre. Elle quitte son bureau pour la récupérer. Tout le reste est pure fantasmagorie!

Face au théâtre parfois cruel de la cour d'école, cette femme sans nom se perdra dans ses pensées et décrira toutes sortes de scénarios qui seront familiers à tous les parents.

«En fait, j'ai un intérêt pour l'enfance, précise la dramaturge. Pour l'état d'étrangeté au monde, auquel on s'habitue, bien sûr, mais j'associe quand même l'enfance à un défi d'adaptation colossal, qui s'adoucit ou s'intensifie selon la nature et l'expérience.»

«Je suis très sensible à cette période-là de la vie, à cet état de vulnérabilité et à la violence de cet apprentissage», ajoute-elle.

Au départ, Evelyne de la Chenelière, qui fait équipe avec Daniel Brière, voulait explorer le tabou du paradoxe qui habite tous les parents.

«Nous avons le désir de protéger nos enfants de tout, mais nous sommes parfois traversés par un désir irrationnel de les fuir à tout jamais, explique-t-elle. Parce qu'il est difficile de côtoyer ses propres enfants. Ça nous confronte à nos peurs les plus sourdes, au fossé qui existe parfois entre ce qu'on avait projeté inconsciemment et l'individu qu'on découvre. Ces contradictions rendent aussi cette relation puissante et belle.»

Les yeux grands ouverts

Evelyne de la Chenelière n'a pas décidé d'aborder ce thème par hasard. Sa plus jeune fille, qu'elle a eue avec Daniel Brière, terminera l'école primaire cette année. Une étape de vie importante pour ces parents qui n'auront plus à fréquenter les cours d'école! «C'est vrai, acquiesce l'auteure. Au fond, c'est de la relation à ma propre maternité et à l'enfance qu'il est question dans ce texte-là.»

L'auteure, l'actrice et la mère qu'est Evelyne de la Chenelière incarnera ainsi les différents personnages qu'elle observera dans la cour d'école.

Le langage non verbal des enfants est très parlant, croit l'auteure et comédienne, qui décrit dans un très beau passage de Septembre le comportement d'un enfant qui prend tout son temps pour attacher ses lacets parce qu'il n'a personne vers qui aller.

«La grande force d'Evelyne, c'est sa lucidité et sa façon d'observer réellement dans la vie, notamment dans la cour d'école, nous dit Daniel Brière. Ses enfants, mais aussi les autres enfants. Toutes ces dynamiques-là, elle les a vues.»

«Tout passe à travers elle, insiste Daniel Brière, qui signe la mise en scène. Elle écrit, elle invente, elle est en création sur scène devant nous. Elle incarne des personnages, mais est-ce qu'ils existent pour vrai? Est-ce qu'ils sont vraiment dans la cour? Ou est-ce qu'on est face à une auteure qui fabule sur les dangers possibles dans une cour d'école? Pourtant, l'école est censée être un lieu protégé...»

Imaginaire et faits divers

Justement, plus maintenant. Les dérives de l'imagination de cette femme sont teintées par la multiplication des violences observées dans les écoles depuis quelques années.

«Tout ça m'a amenée à me poser des questions sur ce qu'on transmet à nos enfants. Quelle est la part d'intégrité intouchable de son propre imaginaire? Et quelle est la part de cet imaginaire violée par l'actualité, qui fait en sorte qu'on ne peut plus regarder une cour d'école de la même manière? Une réalité qui fait qu'aujourd'hui, on peut envisager la possibilité que quelqu'un pénètre cette enceinte et abatte des enfants.»

Cette violence, Evelyne de la Chenelière l'aborde comme d'habitude avec finesse, subtilité et intelligence. «Nos peurs les plus viscérales ou dévorantes font en sorte qu'on se dit parfois: autant précipiter le monde vers sa chute, s'il est impossible de le protéger de la violence systématique, nous dit-elle. Au fond, Septembre est un fantasme de destruction qui est aussi une façon de se libérer, par l'imaginaire.»

À Espace Libre du 8 septembre au 3 octobre.