«Nul n'est plus misanthrope qu'un adolescent déçu», a écrit l'écrivain Hermann Melville. Bien sûr, au 19e siècle, l'auteur de Moby Dick n'avait pas la moindre idée qu'un jour cette révolte adolescente allait trouver un canal virtuel pour se déverser !

Avec Chatroom, créée au National Theatre en 2005, Enda Walsh explore le phénomène des conversations de salons sur des sites de clavardage. Ces «chatrooms» dans lesquels des jeunes échappent à la solitude et aux parents en clavardant, parfois avec candeur, souvent avec fiel, sur Internet !

L'auteur irlandais qui vit à Londres (il a entre autres signé la comédie musicale Once) expose ici le mal de vivre d'une jeunesse sacrifiée et leurrée par la technologie. 

Sa pièce met en scène six jeunes qui discutent en ligne, seuls et isolés devant leur écran. L'un d'eux, Jim, est plongé dans une dépression profonde depuis que son père l'a littéralement abandonné à six ans (il a laissé son fils seul dans un lieu public !!). 

Alors que Jim croit avoir (enfin) trouvé des amis à qui se confier, il va plutôt se faire manipuler par deux ados blasés et cyniques. Dans l'anonymat virtuel, Jim est un livre ouvert qui ressemble à un agneau égaré dans la jungle du Web.  Il est le prototype du «rejet» qui va passer ou casser.  

Une excellente cohorte 

La production à l'affiche de la Fred-Barry, dans une excellente traduction d'Étienne Lepage et une mise en scène méticuleuse, rythmée, de Sylvain Bélanger, a été d'abord présentée par cette troupe de jeunes comédiens, issus de la promotion 2013, au Conservatoire d'art dramatique de Montréal. Une excellente cohorte !

Dans la distribution, mentionnons la performance très touchante et juste de Simon Beaulé-Bulman en Jim; celle d'Olivier Gervais-Courchesne, pas mal machiavélique dans le rôle d'un des agresseurs, William ; d'Anne-Marie Binette (très expressive Emily) et de Catherine Chabot (solide en Eva). 

Certes, la Toile est le miroir grossissant de la société. On y trouve du meilleur comme du pire. Sous un pseudonyme, tout est permis dans ces forums. Car personne n'est imputable, encore moins responsable de ses propos. Ce qui n'empêche pas les bons échanges ni les précieux conseils. 

Chatroom explore - un peu en surface et en 60 petites minutes- des thèmes complexes tels que le suicide, l'isolement et l'intimidation chez les jeunes.  À l'ère du numérique, ces nouvelles formes de dialogues donnent l'illusion du rapprochement entre les humains... Tout en créant encore plus de distance. Le sujet n'est pas nouveau.

Or, le texte de Walsh évite le piège du prêchi-prêcha ou de la morale, laissant les personnages ados prendre conscience eux-mêmes des dérives du Web. Avec son humour (malgré quelques stéréotypes), ce récit risque particulièrement toucher un public jeune qui se reconnaîtra à travers le destin des protagonistes.

CHATROOM D'Enda Walsh 

Mise en scène par Sylvain Bélanger

À la salle Fred-Barry Jusqu'au 21 mars 

***1/2