Dramaturge autodidacte au parcours atypique, Guillaume Lagarde signe une première pièce qui pourrait avoir l'effet d'une bombe dans l'univers douillet et conformiste du 450. Entrevue avec l'auteur et le metteur en scène Patrice Dubois.

Voilà trois ans, les codirecteurs de la compagnie de théâtre PÀP (Patrice Dubois et Claude Poissant) ont reçu un texte par la poste. Aucune adresse de retour ni de nom sur l'enveloppe timbrée; uniquement un numéro de téléphone avec l'indicatif régional 450.

«Après avoir lu une vingtaine de pages, j'ai dit à Claude: il y a un auteur là, avec un univers, une parole, et une écriture», se souvient Dubois. Trois ans plus tard, ce dernier produit et met en scène cette pièce, à l'Espace Go, dès mardi prochain.

L'expéditeur, Guillaume Lagarde, est un paysagiste de 38 ans, qui habite toujours chez ses parents à Sainte-Thérèse, tout en caressant le rêve de devenir «un grand dramaturge»!

Guillaume Lagarde a fait de brèves études, «quelques sessions en lettres au Collège Lionel-Groulx». Il a été influencé par de très bons auteurs: Michel Tremblay, Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet, Bernard-Marie Koltès... Il vient juste de terminer sa deuxième pièce, Propolis. Et il affirme en avoir une demi-douzaine d'autres en chantier.

Sa première oeuvre, Les champs pétrolifères, Lagarde l'a travaillée et retravaillée durant six années avant de l'envoyer au PÀP.

«Ce texte ne ressemble pas aux pièces qu'on reçoit généralement, explique Patrice Dubois. Guillaume est autodidacte, il échappe aux modes, estime Patrice Dubois. La structure de sa pièce est originale. On n'est pas dans l'émotion pure, ni dans le formalisme ou l'auto-réflexif. C'est une voix nouvelle, une matière composée de plusieurs couches de sens.»

Pour confirmer son jugement, Dubois a aussi fait lire Les champs pétrolifères à l'auteur Larry Tremblay, puis à Paul Lefebvre. Ce dernier a tout de suite accepté Lagarde parmi les membres du Centre des auteurs dramatiques (CEAD), lui donnant son aval et son soutien jusqu'au bout.

La mise au monde de la pièce s'est faite en plusieurs étapes de polissage avant sa création: laboratoires, ateliers, lectures à la Semaine de la dramaturgie, puis au festival les Francophonies en Limousin, en octobre dernier.

Tuer la famille

Malgré le titre, l'action ne se déroule pas dans les plaines du nord de l'Alberta ni au milieu des sables bitumineux. Les champs pétrolifères met en scène une petite famille dans sa grande maison d'une banlieue qui ressemble au Quartier DIX30 ou à Rosemère.

La pièce commence doucement avant de virer à l'horreur. On observe une famille en désintégration, avec une mère dominatrice (Annette Garant), un père mou (Jacques Girard) et un fils «borderline», amateur de moto (Guillaume Cyr). Ils écument leurs jours dans le désamour, la consommation. Un soir, le fils ramène à la maison une jeune fille de 15 ans, Blanche (Marilyn Castonguay). Une punkette qui traînait dans les rues de «la métropole».

Tout comme leur fils, les parents vont s'éprendre de l'adolescente marginale avant de la métamorphoser à leur image, tel un objet lisse duquel on a supprimé tout ce qui dépasse. Elle deviendra à la fois fille, soeur, amie, otage et esclave sexuelle du père et du fils. Cette famille «normale» devient le symbole de «l'évanouissement progressif de la civilisation». Tout en sauvant les apparences.

«Je n'ai pas voulu écrire une charge contre la banlieue ou la bourgeoisie», se défend l'auteur, malgré la monstruosité de sa famille «modèle».

«Ce qui m'intéresse, poursuit Lagarde, c'est le rapport entre le centre et la périphérie, le privé et le social, le changement et le statu quo. La société s'uniformise de plus en plus. Si tu ne corresponds pas au moule du couple modèle, avec deux enfants, une belle maison, des REER, tu n'es pas normal. Je pose la question: où est notre place dans le monde?»

Le metteur en scène a voulu un décor mouvant, pour offrir aux spectateurs une multitude de points de vue sur l'univers de cette famille. «Mon axe peut se résumer ainsi: nous ne sommes jamais là où nous croyons être», dit-il.

Interrogé sur le caractère autobiographique de sa pièce, Lagarde avance: «Pas du tout. Tout ça est sorti de mon esprit tordu, ce n'est pas ma famille, ni mes parents, ni ma maison... Et je n'ai pas couché avec ma petite soeur! Mais je n'aime pas parler de ma vie personnelle. Je ne suis pas intéressant. J'ai seulement beaucoup de dramaturgie à extirper de mon intérieur.» Et un univers sulfureux à représenter. Pour en finir avec le confort et l'indifférence de la banlieue.

________________________________________________________________________________

Du 19 novembre au 14 décembre, à l'Espace Go.