«Je ne veux pas choquer pour choquer», assure Fabien Cloutier. Ses pièces Scotstown, Cranbourne et Billy (les jours de hurlement), toutes reprises ce mois-ci à Montréal, misent néanmoins sur une langue brute qui ne sent pas toujours les roses. Ses mots dérangent, il le sait. C'est pour ça qu'il les a choisis.

On pourrait dire des pièces de Fabien Cloutier qu'elles ne conviennent pas aux «oreilles chastes», comme le veut la formule. Ce serait hypocrite, par contre. Ses personnages ne sont pas les seuls à dire des grossièretés, à savoir conjuguer leurs jurons ou à utiliser les sacres sous une forme adverbiale. Ça fait partie de ces choses qui s'apprennent partout, même dans la cour d'école.

Les sacres et les gros mots, ce n'est de toute façon pas forcément ce qui dérange le plus dans le théâtre de Fabien Cloutier. C'est ce qu'il y a dessous. Si on se tortille sur son siège, c'est parce qu'on reconnaît le racisme ordinaire d'un personnage du dramaturge de Québec. Ou parce que cet autre, qui pratique le chialage et l'inaction comme s'il s'agissait de disciplines olympiques dans Billy (Les jours de hurlements), il nous ressemble. Juste un peu trop...

«L'immense talent de Fabien Cloutier, c'est de faire résonner ces mots-là et de nous les renvoyer comme une espèce de portrait de ce que nous sommes, foncièrement ou potentiellement», estime Denis Bernard, directeur artistique de La Licorne, qui soutient le dramaturge depuis plusieurs années. Après Billy (les jours de hurlement) en septembre, le théâtre de l'avenue Papineau présentera de nouveau Scotstown et Cranbourne ce mois-ci.

Scotstown, première pièce de Fabien Cloutier, a commencé comme un conte urbain dans lequel un Beauceron plutôt flanc mou, pas trop cultivé et prompt à juger les autres, raconte une virée à Montréal. Il parle des «gros fefis habillés en cuir», de son chum Chabot qui drague des «grosses», et, de retour dans son patelin, brosse le portrait d'une région où tout le monde est sur la brosse, justement.

«Ç'a été une révélation! J'en ai parlé à 20 de mes amis en sortant du théâtre», raconte Martin Durocher, directeur artistique du ZooFest, qui a vu cette oeuvre en 2009 et aimé cette manière directe de «taper sur les préjugés». Sous ses dehors grossiers, le «chum à Chabot», aussi antihéros de la pièce Cranbourne, agit en effet comme un révélateur du regard qu'on porte sur l'autre, qu'il soit originaire du bout du monde ou du village d'à côté.

Travailler le spectateur

Avant d'être auteur, Fabien Cloutier est comédien. On le voit parfois dans Les bobos et on le verra bientôt dans la série de Martin Matte. Il y a d'ailleurs une conscience aiguë de la relation entre l'acteur et le spectateur dans ses pièces. «Mes textes sont faits pour être joués, dits et entendus, insiste-t-il. Oui, des fois, je me dis qu'une réplique est raide, mais je sais qu'elle va créer quelque chose: un malaise ou un énorme éclat de rire. Je travaille sur le spectateur.»

Il sait que sa langue dérange. Il a dû la défendre dès ses débuts, lorsqu'il a présenté l'embryon de Scotstown dans la MRC de Bellechasse et que des spectateurs ont quitté la salle, choqués. Fabien Cloutier dit que c'est le personnage qu'il jouait, le «chum à Chabot», qui a répondu à leur emportement scandalisé. «J'va parler comme j'va parler!», leur a-t-il lancé.

Des années plus tard, il estime qu'à ce moment-là, sur scène, il a été forcé d'affirmer sa parole d'auteur. «J'ai dû décider, en direct, si je faisais des compromis ou non, résume-t-il. Je n'en ai pas fait.» Il assume, encore et toujours. Aucun de ses textes corsés ne l'a mis dans l'embarras pour le moment, sinon deux chroniques faites à l'émission littéraire Plus on est de fous, plus on lit! qui ont heurté certaines sensibilités...

«Peut-être qu'à un moment donné, mes trucs vont circuler plus et les gens vont dire: as-tu entendu ses propos sur ci ou ça?», songe le dramaturge. Encore récemment, à Rimouski, une chroniqueuse a utilisé les mots «vulgaire», «misogyne» et «sexiste» pour parler de l'un de ses textes. Ce pourrait être pire...

Équilibrisme explosif

Hors contexte, des extraits de Cranbourne pourraient le faire passer pour un raciste fini. «La partie où le personnage parle des musulmans - les «islams» -, ça résonne différemment d'il y a deux ans», constate par ailleurs Fabien Cloutier.

L'ignorance et la xénophobie de son personnage trouvent en effet un écho dans le débat sur la Charte des valeurs québécoises. Il se dit de pires horreurs sur les réseaux sociaux, a constaté le dramaturge. «Et ce ne sont pas des personnages de théâtre», ajoute-t-il.

Fabien Cloutier avance sur un mince fil et il en est bien conscient. Jongler avec les tabous et les mots crus comme il le fait est un exercice périlleux à une époque où les gens qui s'expriment publiquement parlent surtout la langue de bois.

Denis Bernard, avec qui le dramaturge travaille sa prochaine pièce, est aussi conscient des écueils.

Le «nous» auquel font référence les textes de Fabien Cloutier ne renvoie pas une image glorieuse de la société québécoise.

«C'est le nous dangereux. Le nous que je veux voir changer, moi, dit le directeur artistique de La Licorne. Je suis certain d'une chose: c'est une écriture qui n'est pas irrespectueuse, qui vient éclairer des zones d'ombre pour nous rendre plus éclairés, plus ouverts à l'Autre.»

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> Billy (Les jours de hurlements): le 5 novembre à la maison de la culture de Frontenac; le 12 novembre à la maison de la culture de Côte-des-Neiges; le 13 novembre à la maison de la culture du Plateau; le 14 novembre à la maison de la culture d'Ahuntsic; le 15 novembre à la maison de la culture de Lachine; le 16 novembre à la maison de la culture de Montréal-Nord.

> Cranbourne, du 18 novembre au 13 décembre à La Licorne.

> Scotstown, du 21 novembre au 13 décembre à La Licorne.