En revisitant L'illusion comique de Corneille, Anne Millaire a fait le pari de la modernité et du métissage. Avec L'illusion (elle a laissé tomber le comique), elle signe au Théâtre Denise-Pelletier une production très loin de la facture classique, ou de l'esthétique baroque, qu'on associe à cet auteur. Si le spectacle a le mérite de chercher à réinterpréter le répertoire, il emprunte trop de carrefours pour que la magie opère.

La metteure en scène mélange tellement les genres et les styles que la pièce en devient alambiquée. Musiciens sur scène (la conception musicale est de Samuel Véro), costumes contemporains et d'époque, décor post-industriel (des bretelles en simili béton qui évoquent l'échangeur Turcot!), chorégraphies, déclamation, slam, vaudeville... Cette production ressemble à un vaste laboratoire théâtral et musical ouvert à toutes les expérimentations. Il lui manque une ligne directrice claire pour soutenir notre intérêt durant deux heures trente.

Certes, l'argument (un père qui demande à un mage de retrouver son fils disparu) joue sur les invraisemblances. Bien sûr, dans le texte, il est question d'artifices, de magie, de théâtre dans le théâtre. Les personnages peuvent donc jouer de manière affectée, avec une gestuelle appuyée, et des effets de toges. Mais ici, on tombe dans le burlesque, notamment dans les scènes avec le personnage de Matamore.

Accoutré comme un paon multicolore et sonore (son costume a des clochettes), David-Alexandre Després donne un numéro d'acteur de haute voltige! Si le comédien provoque le rire de la salle, il nous entraîne ailleurs. On se croirait téléporté dans un sketch de La Ribouldingue ou de La petite vie, tant il plonge dans l'absurde et tant son jeu détonne de celui du reste de la distribution. Sommes-nous encore chez Corneille?

Ce qui doit prédominer dans L'illusion, c'est la langue, la musicalité des alexandrins. Ici, la musique (cuivres et percussions) vient s'ajouter aux vers, ou appuyer la fin des syllabes. Ce qui semble une bonne idée à la base devient vite lassant.

On s'explique mal, par ailleurs, qu'un personnage passe d'un français articulé à une diction archaïque, qui sonne comme du joual, au milieu d'un alexandrin. Il aurait fallu prendre parti pour une diction uniforme, comme dans Le bourgeois gentilhomme monté en France par Benjamin Lazar, où l'artifice du parler des acteurs colle parfaitement à l'esthétique théâtrale.

Chez Corneille, comme chez Racine, il y a une beauté baroque qui exprime la démesure des sentiments. Les excès de l'âme humaine. En voulant moderniser et urbaniser son oeuvre, on lui enlève un peu de cette beauté. Cela ne veut pas dire qu'on doit s'abstenir de dépoussiérer les oeuvres anciennes ou proposer une approche nouvelle des classiques. Loin de là. Mais tant qu'à jouer d'audace, il vaut mieux réécrire la partition. Comme Réjean Ducharme avec Le Cid maghané.

L'illusion, de Corneille, jusqu'au 9 décembre au Théâtre Denise-Pelletier.