Temps, la plus récente pièce de Wajdi Mouawad, a été créée de A à Z dans une salle de répétition en neuf petites semaines. Après Berlin, Québec et Ottawa, le spectacle prend l'affiche cette semaine à Montréal. La comédienne Marie-Josée Bastien et le metteur en scène reviennent sur cette opération à donner le vertige.

Par nature ou par nécessité artistique, Wajdi Mouawad prend des risques. Engager Bertrand Cantat pour jouer dans des tragédies de Sophocle en est assurément un. Se présenter en salle de répétition sans avoir écrit une ligne d'une pièce qui doit être créée quelques mois plus tard, après neuf semaines de travail seulement, en est un autre. Savoir que le spectacle en question doit être présenté en première mondiale à la réputée Schaubühne de Berlin doit ajouter au sentiment d'urgence.

Se mettre en danger de la sorte est ce que Wajdi Mouawad a trouvé de mieux pour faire table rase et continuer à créer après Le sang des promesses, tétralogie qui a connu le succès et lui a valu une invitation prestigieuse au réputé Festival d'Avignon il y a deux ans. Ainsi, alors qu'il a l'habitude d'aborder une création après l'avoir mûrie longuement et avoir noirci des pages et des pages, il s'est présenté à Québec sans savoir ce qu'il allait faire. Ou presque.

Un an sans écrire

Le dramaturge et metteur en scène avait fait quelques lectures, mais venait surtout de passer un an à résister à la tentation de penser à cette oeuvre à venir. «Chaque fois qu'une idée me traversait l'esprit, je la chassais au plus vite, racontait-il en conférence de presse au Théâtre du Trident, à Québec, il y a quelques semaines. Quand je suis arrivé en répétition le premier jour, c'était comme si j'avais passé l'année à avoir un couvercle posé sur un chaudron d'eau bouillante.» De cette matière en ébullition s'était bien sûr échappé un peu de vapeur d'eau - quelques intuitions, donc -, mais rien qui ressemblait à un synopsis.

Fermont et le froid

Wajdi Mouawad avait deux ou trois petites idées à soumettre à Marie-Josée Bastien, Anne-Marie Olivier, Isabelle Roy, Linda Laplante, Véronique Côté, Jean-Jacqui Boutet, Valery Pankov et Gérald Gagnon, les huit comédiens qui osaient le suivre dans cette aventure. Il pensait à des rats, au froid et à un lieu, la ville minière de Fermont où une partie des habitants vivent dans un mur écran. «On est parti de pratiquement rien, confirme Marie-Josée Bastien. Je pense que si on lui avait dit que ces éléments-là ne nous intéressaient pas, il aurait accepté de repartir à zéro.

«On a improvisé durant les 10 premiers jours environ, poursuit-elle. Wajdi écrivait la nuit et ramenait des bouts de textes qu'on relisait. Assez vite, il y a eu l'histoire de la soeur et des deux frères.» Temps raconte les retrouvailles de deux frères et d'une soeur que la vie a séparés au moment de discuter de l'héritage de leur père, poète et fondateur de Fermont. Il y a bien sûr plus à régler que le partage des meubles et d'un éventuel pactole. Le legs du père, interprété par Jean-Jacqui Boutet, se mesure aussi en blessures d'enfance.

Moins chargé en émotions

«Je ne pensais pas que j'arriverais un jour à faire un spectacle calme, mais très violent», a admis Wajdi Mouawad. Temps ne donne pas lieu, il est vrai, à de grands débordements d'émotion. Le texte est d'ailleurs étonnamment économe. Marie-Josée Bastien affirme d'ailleurs que l'équipe a notamment été guidée par l'envie de ne dire que l'essentiel. «C'est la passion, mais enfouie sous la glace», illustre la comédienne.

Temps n'est pas une création collective. «Il n'y a pas une phrase qu'on a écrite», confirme Marie-Josée Bastien, tout en affirmant qu'il était évident que les acteurs étaient une «nourriture» importante pour le dramaturge. «Le Fermont qu'il y a dans cette pièce, c'est moi, révélait d'ailleurs Wajdi Mouawad en conférence de presse. Moi, dans mon rapport à l'écriture, dans mon rapport à l'art, dans mon rapport à ma propre vie. Ce mur dans lequel on vit, ce froid, c'est tout le questionnement que j'ai sur moi en ce moment même.»

Temps, du 19 avril au 18 mai au Théâtre d'Aujourd'hui.