Il y a 13 mois éclatait l'affaire Gilbert Rozon, accusé par plusieurs femmes de harcèlement et d'agressions sexuelles et qui a mené au départ du fondateur de Juste pour rire. Depuis mai dernier, le promoteur evenko et Bell Média possèdent respectivement 26% et 25% du Groupe Juste pour rire.

En attendant la nomination du patron qui dirigera JPR, entrevue avec Jacques Aubé d'evenko et Patrick Rozon de JPR. Le seul Rozon toujours en poste annonce que les festivals Juste pour rire et Just For Laughs fusionneront en une seule grand-messe de l'humour du 10 au 28 juillet 2019.

JACQUES AUBÉ: SAUVER UN FLEURON QUÉBÉCOIS

«Nous sommes heureux d'avoir pu acheter un fleuron québécois. Pour Geoff et moi, il fallait embarquer.»

Jacques Aubé, vice-président exécutif et chef de l'exploitation d'evenko, parle de son grand patron du Groupe CH, Geoffrey Molson.

En mai dernier, evenko et Bell Média ont pris le contrôle de 51 % du Groupe Juste pour rire (JPR), alors que 49 % de l'ancienne entreprise de Gilbert Rozon sont restés dans les mains américaines de Howie Mandel et ICM Partners.

Le promoteur evenko a fait une soumission initiale qui n'a pas été retenue, raconte Jacques Aubé. Après que Howie Mandel et ICM Partners eurent acheté le Groupe JPR, Jacques Aubé est resté en pourparlers avec Bruce Hills, président de Just for Laughs. Ce dernier l'a fait rencontrer un représentant d'ICM Partners qui était de passage à Montréal. «Puis ça a cliqué.»

ICM Partners cherchait un partenaire québécois qui a une expertise de festivals, de production de spectacles et de gestion d'artistes, détaille Jacques Aubé. «Nous avons des salles et nous sommes déjà en humour avec les Philippe Bond et Sugar Sammy, fait valoir le directeur général d'evenko. Par le biais de Spectra [également propriété du Groupe CH], nous avons aussi une expertise sur le site du Quartier des spectacles.»

Ensuite, evenko a convaincu Bell Média d'embarquer dans l'aventure qui permettra aussi à JPR et ICM Partners de continuer à bénéficier de crédits d'impôt fédéraux et provinciaux.

«Notre mission est de faire croître ce bijou-là. Surtout à Montréal», indique Jacques Aubé.

Pour peaufiner la structure du nouveau Groupe JPR, evenko nommera sous peu un chef de la direction. «Nous sommes en train de choisir un candidat ou une candidate. Ce ne sera pas quelqu'un d'evenko», précise Jacques Aubé.

Structure à établir

On sait déjà que Patrick Rozon demeure dans l'équipe. Marie-Julie Larivière (qui a travaillé longtemps pour Luc Langevin) chapeaute de son côté l'agence, jadis gérée par les soeurs de Rozon, congédiées en mai dernier.

Jacques Aubé lève son chapeau aux employés de JPR qui ont livré le dernier festival malgré la tempête qui a suivi le départ de Gilbert Rozon. Aujourd'hui, JPR est une tout autre entreprise. «Gilbert n'est plus là [...]. Il a fallu rassurer les gens par rapport à ce qui s'est passé, et nous avons précisé les politiques de notre entreprise par rapport à ce sujet-là [intimidation, harcèlement], dit Jacques Aubé. On veut inspirer confiance aux employés.»

PATRICK ROZON: LE DERNIER DES ROZON À JPR

«Il y a un an, auriez-vous pu penser vous retrouver là où vous êtes aujourd'hui?»

Patrick Rozon éclate de rire. «Non!»

«La dernière année a été intense avec de grands moments d'incertitude, dit-il plus sérieusement. J'ai prouvé que je n'étais pas juste un nom de famille.»

En juillet dernier, Patrick Rozon a été nommé vice-président aux contenus francophones de JPR, en plus de garder la direction générale de Zoofest. «Mon mandat est de réinventer le festival en collégialité avec Bruce Hills de Just for Laughs. Il y aura une synergie entre les volets anglo et franco.»

Dès 2019, il y aura une «seule grand-messe de l'humour» du 10 au 28 juillet, annonce-t-il. Les dates du festival, le site, le produit, le branding, l'image: tout sera plus unifié. «Un seul festival», résume-t-il.

«Mon but est d'actualiser Juste pour rire. Que le festival incarne l'effervescence de la relève, les nouvelles façons de se produire en humour, le renouveau féminin, et plus de diversité. Que l'industrie sente que Juste pour rire est là pour elle. C'est ce pont-là que je suis en train de rebâtir.»

Le vice-président parle aussi d'une nouvelle façon «de procéder et d'exporter à l'international».

C'est par ailleurs grâce aux contacts d'ICM Partners que des humoristes québécois auront une vitrine sur Netflix.

Louis-José Houde, François Bellefeuille, Katherine Levac et Adib Alkhalidey auront droit à un épisode spécial de 30 minutes dans une série de Netflix consacrée au stand-up qui sortira en 2019. Le tournage a eu lieu l'été dernier dans le cadre de Just for Laughs.

Dans l'attente d'un grand patron

Dans l'année qui a suivi le départ précipité de Gilbert Rozon, des employés sont partis, certains ont été réengagés. Aujourd'hui, ils sont 130 à bord. «La structure bouge encore, indique Patrick Rozon. Je suis en train d'enlever tous les silos qu'il y avait pour que tout le monde travaille ensemble dans une vision commune.»

Les différents «silos» sont le festival, la gérance, le secteur télévisuel, la production (spectacles, comédies musicales). «Je veux que tout le monde soit au courant de tout.»

Patrick Rozon, le petit-cousin de Gilbert, est le dernier des Rozon encore dans l'équipe de direction de l'entreprise après le congédiement de Luce, Lucie et Constance Rozon, le printemps dernier.

Rappelons que Québecor - qui voulait acheter le Groupe JPR - est tout récemment devenu actionnaire minoritaire de ComediHa!, l'entreprise québécoise rivale de Juste pour rire au Québec.

Vidéotron, filiale de Québecor, était aussi commanditaire du Grand Montréal Comédie Fest, mis sur pied par Martin Petit et qui revient cette année du 22 juin au 6 juillet.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, archives LA PRESSE

Patrick Rozon, vice-président aux contenus francophones de Juste pour rire.

DE L'HUMOUR À OSHEAGA?

«Pourquoi pas», lance Jacques Aubé, vice-président à la direction et chef de l'exploitation chez evenko quand on lui demande si des humoristes pourraient prendre place sur les planches du festival Osheaga.

L'acquisition de JPR pourrait aussi ouvrir des portes à l'international pour evenko. Avec Bell Média et les «gens de télé» de JPR, il y a beaucoup de possibilités médiatiques de «contenu». Notamment à la télévision.

Il y a longtemps qu'evenko songe à utiliser ou à capter le contenu de tous les spectacles qu'il produit, souligne Jacques Aubé. «Comment en faire un modèle d'affaires?»

Le promoteur evenko, qui relève du Groupe CH, est très présent sur la scène culturelle québécoise. Surtout depuis qu'il compte l'Équipe Spectra dans sa famille élargie.

Le groupe CH gère ou est le propriétaire de la plupart des salles de spectacle du Grand Montréal. Le Corona, Centre Bell, MTELUS, Astral, sans compter la Place Bell de Laval et l'Étoile de Brossard.

Le milieu de l'humour a accueilli assez favorablement le partenariat entre evenko et JPR en mai dernier, mais pour d'autres acteurs culturels, c'était un festival de trop.

«Espérons que le Bureau de la concurrence se penchera sur le monopole que Bell/evenko consolide de plus en plus sur les marchés des festivals», a écrit Pierre Karl Péladeau sur Twitter.

Est-ce que evenko étend trop ses tentacules? Non, répond Jacques Aubé, qui n'aime pas se faire poser la question. «Nos partenaires savent que nous sommes une équipe modeste qui veut bien faire, plaide-t-il. Nous ne sommes pas un empire. Nous sommes une équipe de Montréal détenue par un Montréalais avec une mission culturelle.»

Grâce à evenko, les Québécois ont aussi accès à de la culture internationale, fait valoir Jacques Aubé. «Nous sommes performants et on veut faire le bien.»

Jacques Aubé invite par ailleurs les acteurs culturels qui ont une bonne idée à cogner à sa porte. «On peut aider des projets à se réaliser dans la collégialité.»

Photo André Pichette, Archives La Presse

Jacques Aubé, vice-président exécutif et chef de l'exploitation d'evenko.