Ils étaient trois... euh, non, quatre... et parfois même tous pour un. Mais dans la comédie musicale qui fait ses débuts vendredi prochain au Palais des Sports de Paris, ils seront deux à la mise en scène: Dominic Champagne et René Richard Cyr.

Dire que Les 3 Mousquetaires est un des gros shows de la rentrée parisienne est un euphémisme. Voilà plus d'un an que la campagne de promotion du spectacle s'est mise en branle dans l'Hexagone. Des chansons tournent déjà à la radio, l'album du spectacle est dans les bacs et de nombreux clips roulent sur YouTube, où l'on peut voir une distribution jeune et athlétique (y compris le Québécois Olivier Dion) vanter les louanges de cette superproduction. Détail non négligeable: le spectacle compte quatre producteurs, dont la méga-radio commerciale NRJ.

Que les deux créateurs québécois aient embarqué dans ce gros paquebot de la variété française peut surprendre. C'est particulièrement étonnant de la part de Dominic Champagne, qui a beaucoup fait parler de lui, ces dernières années, pour sa croisade anti-pétrolières dans le documentaire Anticosti (2014).

Mais les deux metteurs en scène, qu'on rencontre entre deux répétitions dans la salle du Palais des Sports, affirment qu'il n'y a rien d'incompatible là-dedans. L'un et l'autre ont toujours aimé le mélange des genres, comme en témoignent la plupart de leurs collaborations précédentes.

«Quand on a fait Le plaisir croît avec l'usage, il y a 10 ans, c'était exactement ça, renchérit René Richard Cyr. On pouvait avoir Ginette Reno et Louise Lecavalier sur le même plateau. Pareil quand on a monté le show de la Fête nationale, le Gala des Masques ou Zumanity pour le Cirque du Soleil.»

«Il y a moyen d'être populaire, au sens noble du terme, renchérit Dominic Champagne. On n'est pas très sectaires dans notre façon de voir la scène. On décloisonne beaucoup. Il y a moyen de faire de la pop sans faire de la pop.»

Une pièce d'actualité

L'important, disent-ils, était de trouver du «sens» à cette aventure. Or, selon eux, l'oeuvre d'Alexandre Dumas est étonnamment pertinente aujourd'hui.

Il faut savoir que Les 3 Mousquetaires se déroule à Paris au XVIIe siècle, alors que protestants et catholiques sont à couteaux tirés. Que l'histoire fasse l'éloge de l'union plutôt que de la division ( Un pour tous, tous pour un») était en soi suffisant, croient-ils, pour donner au spectacle toute sa signification, alors que des problèmes similaires secouent actuellement la société française, aux prises avec des questions de repli identitaire et de conflits de religion.

«Ici, c'est le pays de la République et de la démocratie. Mais c'est aussi un pays où il y a une montée de la droite, une intolérance grandissante. C'est un pays où le vivre-ensemble est plus difficile», explique Dominic Champagne.

C'est pour contrer cette «intolérance», justement, que la distribution des 3 Mousquetaires s'est axée sur le «melting pot».

Attirés par l'idée du «vivre-ensemble», les deux metteurs en scène ont tenu à choisir eux-mêmes, sur près de 500 candidatures, les 37 chanteurs et danseurs de la production, en insistant sur la diversité. Certains viennent de la variété, d'autres du hip-hop, de la chanson, de la danse. Ils sont surtout d'origines multiples: Français, Danois, Nord-Africains, Italiens, Turcs, sans compter les Québécois David-Alexandre Després, qui incarne le personnage de Planchet, et Olivier Dion, qui joue le rôle pivot de d'Artagnan.

«Ce casting a été notre motivation», lance Champagne.

Dompter la bête

Sur papier, mélange idéal. Dans les faits, on comprend que le spectacle ne s'est pas monté si facilement.

Présents en France depuis la fin du mois de juillet, Cyr et Champagne ont bien ramé pour «dompter la bête». On les a certes engagés pour leur mélange de «coolitude» à l'américaine et de rigueur à la française (ah, la fameuse expertise québécoise!), mais ils admettent que leur mode de création s'est parfois heurté à l'anarchie et à la relative nonchalance de la culture française.

«Il y a eu un gros défi là. Pour le meilleur et pour le pire», résume Champagne. «Oui, une chance qu'on était deux!», ajoute René Richard Cyr en souriant.

Ils ne sont pas mécontents, en revanche, d'avoir laissé autant de place aux artistes, qui ont tous pu ajouter leur grain de sel au spectacle, au lieu d'être réduits au rôle d'exécutants. Qu'on ne s'y trompe pas toutefois: Les 3 Mousquetaires est loin d'être une création collective. «On signe le travail», tranche Champagne, en précisant que Cyr et lui en ont mené large et ont débordé plus d'une fois du cadre de leurs fonctions.

À une semaine de la première, les deux metteurs en scène semblent trop occupés pour être nerveux. Ils se soucient encore moins des spectacles rivaux, qui tenteront de faire de l'ombre à leur production. Pas moins de 10 comédies musicales joueront en effet du coude cet automne dans les salles de la capitale française, dont une adaptation rock du livre Le rouge et le noir, de Stendhal, un autre classique de la littérature «variétisé».

Conscients de la concurrence? Bien sûr. Mais ils donnent à cette question la seule réponse possible: «On n'a pas le contrôle sur la compétition.»

«Notre but, c'est de faire le meilleur spectacle possible, conclut René Richard Cyr. C'est comme quand ma mère faisait de la dinde pour la visite: les autres pouvaient dire ce qu'ils voulaient, mais si elle aimait sa dinde, elle savait qu'elle avait réussi son plat...»