L'humoriste remplit à peu près le théâtre Trévise. Et a trouvé son public. Les médias suivent. Il fera le Bataclan l'automne prochain.

Rachid Badouri est un homme optimiste et à son affaire.

Quinze minutes après son spectacle, vendredi dernier, il fait posément les comptes dans les coulisses encombrées du Trévise: «Le théâtre fait un peu plus de 200 places. Il y avait près de 170 spectateurs ce soir. Dont une moitié de payants... C'est super bien! On a déjà eu beaucoup de «petits» médias. Et maintenant, on espère décrocher le Grand Journal sur Canal+ et le talk-show de (Laurent) Ruquier. Ça marche comme sur des roulettes!»

On ne pourrait mieux résumer la situation. Après un showcase unique à Bobino l'automne dernier, Badouri a débarqué en parfait inconnu - ou presque - le 6 janvier au Trévise, charmant petit théâtre à l'italienne derrière les Grands Boulevards. Celui-là même où Kavanagh avait entrepris la conquête de Paris en 1999. Rachid a choisi de l'occuper jusqu'au 3 avril: «Quand on est inconnu à Paris, il faut installer son show et son personnage. On avait pensé faire le Trévise pendant six mois. Mais il aurait été un peu dur pour moi et pour l'équipe de rester absent de la maison si longtemps.»

Qu'à cela ne tienne. D'abord, tenir un petit théâtre pendant trois mois avec de gros tiers de salle payants, c'est déjà bien. Les médias conquis en sont la preuve. Ensuite, rien n'empêche l'humoriste de revenir très bientôt dans une salle plus grande. Ce sera fait: au milieu de l'automne prochain, Rachid Badouri fera deux semaines au Bataclan, salle de 1000 places particulièrement branchée, sorte de dernière marche avant l'Olympia. C'est un signe qui ne trompe pas: la sauce commence à prendre. Et notre humoriste québéco-marocain est en train de trouver son public. Et l'oreille des médias.

Un terreau fertile

Vendredi, 20 h et des poussières: début du spectacle, qui dure très exactement une heure et 10 minutes, car un autre humoriste prend le relais tous les soirs à 21 h 30. Le balcon, minuscule, est fermé, mais l'orchestre est plein à quelques sièges près. «Les invités: pas plus de 40 %», jure l'imprésario de Badouri. Peut-être ces invités ont-ils déjà vu les spectacles. Peut-être les «payants» en ont-ils entendu parler. Peut-être le bouche à oreille a-t-il commencé à fonctionner. Toujours est-il que la salle réagit au quart de tour dès les premières paroles: «Ah! La France, quel pays formidable, il y a des Arabes partout! Au Québec, je suis le ghetto à moi tout seul. À l'école, on était trois à part: moi, un Noir... et un roux. Les trois états successifs de la rouille.»

Les spectateurs sont morts de rire. Les histoires et mésaventures du père marocain au Saguenay ou en vacances aux États-Unis ont également un succès fou. Le courant passe.

Accessoirement, les gens ont l'air d'apprécier la virtuosité du showman, ses imitations de Michael Jackson ou de Rocky, ses talents de danseur. Mais il est tout aussi évident que Badouri débarque en France avec des références qui passionnent a priori les Français: l'immigration, l'intégration, le racisme, souriant ou brutal, c'est l'actualité de tous les jours. Comme par hasard, la moitié ou les deux tiers des spectateurs semblent être des jeunes «issus de l'immigration», selon l'expression consacrée.

«Un humoriste d'origine marocaine, c'est un produit déjà bien identifié en France, dit Badouri. Mais là, ils voient arriver un Québécois né dans une famille marocaine. Ils sont intrigués: qu'est-ce que ce drôle de mélange va donner?»

De fait, pour un nouveau venu, Badouri a réussi à capter l'intérêt des médias en un temps record. Sur le babillard du Trévise s'étale une revue de presse déjà substantielle. Des médias spécialisés ou en ligne qui signalent le passage de cet «ouragan québécois». Mais aussi le guide culturel de L'Express: «Il raconte l'intégration de sa famille marocaine avec l'accent de Céline Dion, la tchatche de Jamel et les grimaces d'Eddie Murphy... Révélation de l'humour? Absolument!» On attend maintenant un reportage dans Paris-Match.

Une leçon d'humilité

L'artiste a déjà fait plusieurs chaînes de télévision (importantes) du câble, les meilleures stations de radio, notamment France Inter, deuxième station généraliste. Consécration suprême: des programmateurs du Grand Journal (Canal +) et de l'émission quotidienne de Laurent Ruquier ont manifesté leur intérêt. «Des amis humoristes m'ont dit que c'était incroyable d'avoir tout ça en trois semaines...»

Cela dit, c'est toujours une expérience particulière, pour une vedette majeure, de repartir à zéro dans un pays étranger. Et dans une ville de 10 millions d'habitants où, note Rachid, «il y a 800 spectacles en même temps un vendredi soir, dont 150 stand up comics». Lui venait de jouer à guichets fermés au St-Denis, et le voilà, le 6 janvier, devant une centaine de spectateurs non payants : «C'est le prix à payer pour percer à Paris, dit-il, alors je le fais. Mais c'est sûr que, les deux premières semaines, j'étais encore un peu coincé. Maintenant, ça va mieux: je m'amuse, j'improvise. Mais il est vrai que, si j'avais une once d'orgueil en arrivant ici, je n'en ai plus...»