On n'est pas franchement dans l'amateurisme. Lorsque Rachid Badouri se lance à l'assaut de Paris, c'est avec tous les moyens de la guerre moderne. Repérages en territoire ennemi, opérations de commandos, préparations d'artillerie avant le grand débarquement. Pensez donc: un parfait inconnu, star au Québec, mais tout de même inconnu en France, lance le 6 janvier prochain une série de 65 spectacles au théâtre Trévise, derrière les Grands Boulevards.

Le Trévise n'a certes que 280 places, mais l'objectif final vise de 10 000 à 20 000 spectateurs. Pas mal pour un débutant. Il faut dire que Rachid Badouri, s'il a toujours conservé son agent personnel, est lancé en France par la puissante machine de Juste pour rire. Et chez les Rozon, on a l'esprit de système: la mise en orbite de l'humoriste québécois s'est faite selon les règles de l'art.

Hier soir, réquisition du célèbre music-hall Bobino pour une présentation promotionnelle de luxe. Un orchestre plein à craquer avec environ 500 spectateurs. Un balcon réservé aux invités de marque, avec champagne pour conclure. Bien entendu, personne dans tout ce beau monde n'avait payé sa place, mais il n'est pas si évident à Paris d'attirer 600 ou 700 spectateurs, même pour un spectacle gratuit. L'opération consistait également à attirer des journalistes et des responsables des chaînes de télévision: «J'en ai trois pages», a déclaré avant le spectacle l'attachée de presse de Juste tour rire.

Combien sont vraiment venus? Difficile à dire, car ces décideurs ne sont pas forcément des vedettes. Mais il y en avait. Juste pour rire France joue désormais dans les ligues professionnelles, aligne une douzaine de stars françaises de la scène sur son tableau de chasse. Hier soir, Rachid Badouri était présenté au public par une nouvelle recrue de choix: Gérard Louvain, longtemps patron des variétés à TF1, première chaîne de télé française. Un poids lourd dans le monde des variétés.

Dans sa loge, peu avant le spectacle, Rachid Badouri lui-même détaillait le plan de campagne qui se déploie en France depuis plusieurs mois déjà: «D'abord, a-t-il dit, on a testé mon spectacle à Nantes, au Festival Juste pour rire au printemps dernier. Quatre soirs de suite, j'ai fait mon spectacle devant un vrai public français, pour voir comment ça réagissait. Et ça a super bien marché. Dans la boîte à suggestions posée à l'entrée, les gens disaient: surtout n'essayez pas de gommer votre accent ou votre esprit québécois! En fait, j'avais déjà commencé à adapter mon show pour le public français, mais à petites doses.»

Le responsable de cette adaptation: un certain Arnaud Gidon, qui a déjà beaucoup collaboré avec Anthony Kavanagh pour la France.

«Parfois ce sont de petits détails, a dit Badouri: on n'embarque pas dans une bagnole, mais on monte dedans. Cela ne concerne pas l'accent, mais plutôt le débit du texte et certaines expressions courantes. On a encore retravaillé. Et puis on vient de faire trois soirs de suite au petit théâtre de Dix-Heures à Pigalle.» Une petite salle parisienne qui a été annexée à l'empire Rozon il y a quelques années.

Références américaines

Lorsque l'inconnu Badouri a commencé son spectacle hier soir vers 20h45, il y avait donc déjà beaucoup de travail en amont. Côté communication, les spectateurs à l'orchestre n'avaient manifestement aucun problème de compréhension.

Certes, les références de Badouri sont quasi exclusivement américaines: Michael Jackson, Rocky, Eddy Murphy. Quelques pincées de culture de masse française pourraient être utilement parsemées sur l'ensemble - comme Kavanagh avait parfaitement su le faire en 1999, lorsqu'il avait pour la première fois triomphé... au Trévise, qu'il avait occupé quatre mois d'affilée.

Cela dit, les superstars évoquées par Badouri sont célèbres en France comme dans le reste du monde. Et les spectateurs étaient ravis de voir défiler quelques succès mondiaux de Michael Jackson ou d'entendre la voix de Sylvester Stallone.

Quant à la virtuosité scénique de Badouri, à ses dons de danseur ou de contorsionniste, ils ont manifestement ravi l'assistance, qui a fini par l'ovationner, lui qui sait si bien mêler l'humour, l'expression corporelle et un certain don pour l'imitation.

Il y a maintenant presque quatre mois avant la première au Trévise, le 6 janvier. Le temps pour Rachid Badouri d'engranger les précieuses émissions de télévision et les reportages dans les magazines...

On entendra parler de lui à Paris bien avant que ne se déclenche le grand débarquement.