Après avoir traité du choc culturel dans D'Hivers-Cité, Boucar Diouf parle maintenant d'intégration et d'identité dans son deuxième spectacle d'humour, L'Africassé-e. Discussion avec celui que son papa nomme papa...

«Hey, je viens de Rimouski. C'est frette, Rimouski! Pas autant que Matane, mais quand même...» Contrairement à ce que craint notre photographe, Boucar Diouf n'est pas frileux. Il accepte de sortir pour qu'on croque son portrait.

 

Dix minutes plus tard, il reprend avec nous la conversation. Diouf avoue qu'une phrase revient aux cinq minutes dans son nouveau spectacle: «Mon grand-père disait que...»

«Je ne me considère pas du tout comme un sage, lance-t-il. Alors quand je dois dire quelque chose de plus réfléchi ou poétique, je le fais à travers la voix de mon grand-père.»

Son père ne serait pas d'accord, car il ne fait pas vraiment de distinction entre les deux. Boucar porte le même prénom que son grand-père. Mais le lien entre eux est beaucoup plus profond. La famille Diouf, de l'ethnie sérère, habite un petit village sénégalais. Officiellement, elle est musulmane. Mais elle conserve aussi ses croyances animistes, comme les autres habitants du village. «Les Sérères sont une société initiatique, explique Diouf. Ils croient qu'une partie de l'âme du défunt retourne habiter ses descendants. Mon père croit que l'âme de son propre père est en moi. Il m'appelle donc papa.»

L'humoriste et son géniteur habitent deux planètes différentes. Le père ignore tout de L'Africassé-e. Il ne sait pas non plus que son fils a joué les kiwis à Radio-Canada avec Francis Reddy, ni qu'il est conteur. Il croit que son fils enseigne encore l'océanographie à l'UQAR.

«L'humour n'est pas très bien vu chez les Sérères, explique Boucar. On le réserve aux griots, une caste qui servait à divertir les rois. Une autre raison, c'est que mon père est analphabète, tout comme ma mère. Ils ont été colonisés par les Blancs, et ils croient que l'homme blanc est le plus intelligent. Alors imagine à quel point il est fier de savoir que j'enseigne aux jeunes blancs québécois à l'université. Il pète de la broue.»

Personne ne crèvera le nuage du père. Ni la télévision ni l'internet ne se rendent dans son village. Et les proches de Boucar conservent le secret. «Mon père a 81 ans. Quand tu considères l'espérance de vie au Sénégal, c'est l'équivalent d'environ 105 ans au Québec. À ce stade-ci, ça servirait à quoi de lui dire que je fais le troubadour? Comme disait mon grand-père: un mensonge qui unit une famille est parfois plus recommandable qu'une vérité qui la divise.»

La fin d'un cycle

Si on parle de la famille de Boucar Diouf, c'est parce qu'elle explique le thème de son nouveau spectacle: ses identités multiples. Celles d'un Sénégalais sérère, débarqué en 1991 à Rimouski pour faire un doctorat en océanographie, qui a ensuite abandonné l'enseignement pour devenir humoriste, conteur et animateur.

Il ne s'agit pas seulement d'une dichotomie Afrique-Québec. Diouf a longtemps vécu en région - dans le Bas-Saint-Laurent et un peu en Gaspésie - avant de déménager à Montréal. «En Afrique, on dit que ça prend tout un village pour élever un enfant. À Montréal, c'est vraiment difficile. Tu te sens seul, c'est une maudite job!» avoue le père de 45 ans.

Le ton n'est pas du tout amer. Au contraire, Diouf sourira durant les 50 minutes de notre interview. «J'aime raconter des histoires, s'emballe-t-il. Mon spectacle n'est pas une succession de numéros décousus. Il s'agit vraiment d'une histoire. Le point de départ, c'est mon couple mixte. Par exemple, je parle de la difficulté de trouver un prénom pour un bébé mi-africain, mi-québécois, et je parle aussi des expressions québécoises comiques liées à la nourriture.»

Sa conjointe l'accompagne sur scène. Elle jouera de la guitare pendant que lui chantera quelques chansons. Certaines seront inédites, d'autres sont des relectures de classiques québécois, comme La Bastringue en wolof.

Dans les dernières années, Boucar Diouf a beaucoup parlé de multiculturalisme, d'interculturalisme et d'identité. Il assure vouloir maintenant passer à autre chose. «Oh oui, mon prochain spectacle traitera d'un différent sujet, s'empresse-t-il de préciser. Ce sera de l'humour scientifique. L'intégration, j'en ai déjà parlé pas mal.»

L'Africassé-e au Gesù, les 3, 6 et 13 février.