Après avoir révélé à minuit, jeudi soir, les 16 chansons de son 11e album, The Tortured Poets Department, Taylor Swift en ajoutait – ô surprise ! – 15 autres à 2 h du matin. Nos deux Swifties en résidence vous offrent un échange épistolaire pondu à l’aide (ou pas) de leurs machines à écrire.

Dominic Tardif : T’ai-je déjà dit que mon disque préféré de Taytay est Reputation, son œuvre la plus amère et vengeresse ? Je suis heureux d’un peu retrouver cette Taylor avec The Tortured Poets Department, bien que sur le plan de la réalisation et des arrangements, l’album s’inscrive davantage dans la lignée des récents Folklore, Evermore et Midnights.

Comme elle n’a jamais semblé aussi heureuse que depuis qu’elle caracole avec le monsieur barbu qui joue au ballon, j’avoue avoir été étonné par toute la tristesse dont sont imprégnés ses nouveaux refrains, plus que jamais bavards. Taylor avait beaucoup de choses dont délester son cœur brisé.

Alors, permets-moi de te poser la question qui me brûle les lèvres : est-ce qu’un garçon a déjà laissé une machine à écrire chez toi comme Taylor le raconte dans la chanson-titre, qui porte vraisemblablement sur son ex, Joe Alwyn ?

Marissa Groguhé : Je suis contente que quelqu’un me pose enfin la question. La réponse est, malheureusement, non.

Ça m’amène d’ailleurs à la réflexion initiale que j’ai eue en écoutant la première partie de l’album : la promotion du disque promettait de la poésie et, pourtant, les premiers morceaux en manquaient cruellement. J’ai d’abord cru que cet album me décevrait, qu’il serait un pastiche de ce qu’on a déjà souvent entendu, particulièrement au niveau des sonorités, car c’est aussi là que je cherchais à retrouver de la poésie.

Comme toi, j’adore lorsque Taylor se fait vengeresse, qu’elle met le feu et qu’elle règle ses comptes. Mais mon album préféré à moi, le doux Folklore, est indétrônable et je cherche depuis dans l’offre de Taylor Swift cette même essence. Et puis, la cinquième chanson de TTPD, la magnifique So Long, London, un adieu poignant adressé à Joe Alwyn, a débuté. J’ai compris qu’elle avait décidé de laisser sa catharsis s’exprimer en se promenant entre les chansons très pop et celles qui s’inspirent du folk et de sa poésie. J’ai compris, surtout, que le disque aurait beaucoup pour me plaire.

Extrait de Down Bad, de Taylor Swift
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DT : C’est juste moi ou 31 chansons, c’est beaucoup à digérer d’un coup ? Loin de moi l’idée de mettre en doute les décisions de notre prophète, mais peut-être aurait-il été plus judicieux d’espacer la sortie de la première portion de TTPD et de son (abondant) appendice. Taylor chante dans Florida !!! « My friends all smell of weed or little babies », et puisque j’appartiens à la deuxième catégorie, j’ai préféré me prévaloir du sommeil que m’autorise (ces temps-ci) ma progéniture, que de communier avec les millions de Swifties qui ont opté pour une nuit blanche.

Cette phrase me rappelle d’ailleurs qu’on célèbre trop peu à quel point Taylor, comme Leonard Cohen, sait insérer des saillies d’un comique lumineux dans toutes ses chansons, même les plus désespérées.

Extrait de Florida!!!, de Taylor Swift (avec Florence + The Machine)
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MG : Je n’appartiens à aucune des deux catégories mentionnées dans Florida!!!, l’un de mes morceaux préférés du disque, qui amène tellement bien la touche distincte, mystique et intense, de Florence Welch (de Florence+The Machine) et qui la joint à celle tout aussi distincte de Taylor. Un rendez-vous au sommet réussi. Mais pour en revenir à la drogue et aux bébés, j’ai été en mesure de me tenir réveillée jusqu’à minuit pour écouter les 15 premières chansons.

Les indices déposés par Taylor dans les derniers jours laissaient présager une suite à 2 h du matin… mais je me suis endormie avant. Quelle ne fut pas ma joie au réveil de découvrir une suite au chapitre TTPD. Contrairement à toi, j’avais besoin de cet appendice. Une suite qui, oui, aurait pu exister seule, mais qui donne un tout autre sens aux 15 premières chansons, même si certains morceaux pourraient disparaître sans que je verse une larme.

DT : Comme Taylor le fait elle-même souvent, laisse-moi te dire, sans perdre une seconde, le contraire de ce que je viens d’affirmer : ma chanson préférée est The Black Dog, et cette chanson est tirée de la deuxième portion de TTPD, une lettre fielleuse adressée à Matt Healy, le leader du groupe The 1975 dans les bras de qui elle a tenté d’oublier Joe (alerte au divulgâcheur : Matty n’a qu’aggravé la situation).

Mon album de rupture préféré de tous les temps est Blood on the Tracks de Dylan et ma Taylor préférée est celle qui, comme Dylan, s’autoflagelle tout en crachant son venin.

Extrait de The Black Dog, de Taylor Swift
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MG : Ça me fait plaisir que tu soulèves le côté comique de Taylor Swift. Je vais en profiter pour citer l’une de mes lignes préférées, tirées de l’une de mes chansons favorites, But Daddy I Love Him, que j’interprète comme un discours à l’intention de tous ceux qui ont émis des jugements face à sa relation avec le fameux barbu qui joue au ballon (Travis Kelce).

PHOTO PATRICK T. FALLON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Taylor Swift embrasse son héros, le joueur de football Travis Kelce.


Dans une chanson où elle défend cette relation auprès de son père, elle s’adresse aussi à nous tous (oui, je m’inclus là-dedans) qui avons douté de l’authenticité de son couple. « Now I’m running with my dress unbuttoned/Screaming, “But Daddy, I love him ! I’m having his baby” /No, I’m not, but you should see your faces. » De toute beauté !

DT : Je nous relis et ça me saute aux yeux : nous sonnons tous les deux comme les membres d’un culte. Je l’écris ici avant qu’un de nos lecteurs nous le reproche dans un courriel courroucé : il y a beaucoup du plaisir d’un nouvel album de Taylor Swift qui tient, oui, à ce jeu de pistes.

Reste que même si de savoir qu’une chanson comme Style (2014) portait sur son idylle avec Harry Styles m’amuse, c’est parce que Style est une grosse toune pop qu’il s’agit d’une de mes chansons préférées de son répertoire, pas parce que j’en connais (ou pense en connaître) les coulisses. Ici, à quelques rares exceptions, dont My Boy Only Breaks His Favorite Toys, les grosses tounes plus pop se font rares.

Pour filer la métaphore littéraire dont elle a emballé la mise en marché de cet album, Taylor gagnerait à se prévaloir d’un éditeur (ou d’une éditrice). Non pas pour réviser ses textes, mais pour l’aider à départager ses bonnes chansons des moins bonnes.

MG : Taylor a dit il y a quelque temps, lors d’un concert, que cet album est celui qui lui a permis de se libérer le plus. Et après une longue écoute de ces 31 chansons (et je l’ai écouté 4 fois au moment d’écrire ces lignes), j’arrive à imaginer la légèreté qu’elle a dû ressentir après s’être délestée de tant de colère, de dégoût, de tristesse, d’amour errant aussi. Comment peux-tu être contre ça ?

DT : Je ne le suis pas du tout ! Je pense simplement que si Born to Run de Springsteen est un aussi grand disque, c’est parce qu’il contient huit chansons et non 31. Je t’enverrai en fin de semaine ma version idéale de TTPD composée de mes dix chansons préférées et je te le promets, en toute humilité, ce sera un bien meilleur album que celui lancé jeudi soir.

Mais bon, peut-être que je me comporte comme tous les hommes à propos desquels elle écrit : je lui demande d’être autre chose que ce qu’elle est. Tu as raison, je pourrais cesser de chigner et me satisfaire du bridge de So Long, London. Je connais plusieurs auteurs-compositeurs qui échangeraient l’ensemble de leur œuvre pour un seul bridge comme celui-là. Je pourrais me satisfaire de pleurer en boule en écoutant loml (acronyme signifiant « love of my life »), avec laquelle Taylor me transperce le cœur tout en ayant l’élégance de me le recoudre à mesure.

Extrait de So Long, London, de Taylor Swift
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MG : Tes dernières phrases sonnent comme de la poésie à mes oreilles, je vois que Taylor déteint joliment sur toi. Je constate aussi qu’on partage plusieurs coups de cœur sur l’album.

Une autre de mes favorites, The Smallest Man Who Ever Lived, permet l’écoute d’un autre excellent texte, tellement acerbe et libérateur, dirigé vers son ex, Matty Healy. Tu mentionnes My Boy Only Breaks His Favorite Toys, que j’adore. C’est Jack Antonoff, collaborateur de longue date de Taylor, qui l’a produite, comme plusieurs autres sur TTPD. En prêtant attention aux crédits de l’album, un constat s’est imposé à moi : le travail d’Antonoff est génial, il fait de la magie, mais je ne peux m’empêcher de penser que Taylor et lui ont peut-être fait le tour, pour l’instant, de leur collaboration. A contrario, tout ce qu’a touché Aaron Dessner sur ce disque m’a ravie (j’ai eu une réaction physique, un sursaut de joie, en entendant loml ou So High School pour la première fois).

J’espère maintenant que Taylor prendra un pas de recul, une longue pause. Elle semble vouloir le faire, elle dit que cet album clôt un chapitre, que tout a été dit. Moi aussi, je suis rassasiée, et j’ai 31 nouvelles chansons à apprendre par cœur.

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