Expert dans l’art du jeu au doigt (fingerpicking), le guitariste Don Ross vient présenter son nouvel album Water dimanche soir à la Sala Rossa. Un vrai retour aux sources pour ce musicien natif de Montréal, qui vogue partout au pays et à l’étranger, distillant ses harmonies sculptées à dix doigts.

La douceur d’un ressac marin, la tranquillité d’un lac d’été, des gouttes de notes perlant sur des cordes de guitare… les morceaux de Water puisent sans ambiguïté dans l’apaisement procuré par cette source de vie, élément central du quotidien de Don Ross.

Né au Québec sur les bords du Saint-Laurent, celui qui a vécu à l’Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse a toujours été cerné de nappes d’eau. Littéralement. « Mon studio donnait directement sur l’océan, je me sens toujours mieux quand je suis proche de rives », explique-t-il à La Presse. Et à plus forte raison durant la pandémie, au cours de laquelle il a composé une grande partie de l’album, alors que le monde entier s’est retrouvé « submergé ». Le thème s’est donc naturellement imposé.

Le défi se présentant à l’artiste fut de transposer cette sensibilité aquatique en musique, avec son approche personnelle. C’est-à-dire en le passant à la moulinette du style fingerpicking qui a fait sa renommée – Don Ross a glané une pléiade de concours et de distinctions depuis le début de sa carrière, amorcée il y a plus de 35 ans. Pour les non-initiés, cette technique de jeu consiste à utiliser, au lieu du sempiternel médiator (le pick, un petit morceau de plastique), tous les doigts de la main pour attaquer les cordes, mêlant arpèges, accords, mélodies et effets de percussions, le tout de façon orchestrale. Si certains y excellent sur guitare électrique (Mark Knopfler), Ross exploite toutes les qualités de résonance des instruments électroacoustiques.

Cette parenthèse fermée, revenons à nos histoires d’eau. « La musique étant un métalangage, il est difficile de dire, quand on compose des pièces instrumentales, comment se transmet notre ressenti par l’entremise d’un groupe de notes ou d’accords », explique le guitariste.

Mais si on donne des indices à l’auditeur, à travers les titres d’albums ou de morceaux, cela permet de le mettre dans un certain état d’esprit. Il pourra certainement entendre les rivages et les eaux dans la musique s’il utilise son imagination.

Don Ross, guitariste

Il brandit l’exemple de Seabright, pièce de Water empruntant le nom du village côtier néo-écossais où il a résidé. « On y entend des sons joyeux et rayonnants, même si je l’ai composée pendant une période sombre. » Une caresse maritime, émaillée de notes flottantes, qui n’est pas sans rappeler les étoiles nocturnes de One Quiet Night, de Pat Metheny.

Extrait de Seabright, de Don Ross
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Vingt doigts à l’honneur

Montréal constitue ainsi un terrain connu pour Don Ross, qui y a grandi et y retourne régulièrement, à l’occasion par exemple du Festival de jazz. Ce dimanche soir, ce sera à la Sala Rossa que les dix doigts de Don Ross seront à l’œuvre, pour égrener des chansons de son plus récent album, mais aussi les classiques tirés de sa longue carrière.

Nous disons dix, mais en réalité, ils seront vingt. Car viendront s’ajouter ceux de Kent Nishimura, jeune prodige nippon qui fait sensation sur YouTube avec ses reprises de chansons connues passées à la sauce fingerstyle. En fermant les yeux, on pourrait penser que plusieurs musiciens jouent simultanément !

PHOTO TIRÉE DU SITE DE KENT NISHIMURA

Kent Nishimura

D’ailleurs, Nishimura ne constituera pas une « première partie » à proprement parler, puisque ses passages sur scène seront alternés avec ceux de Ross au fil de la soirée, et ils performeront parfois ensemble.

Je préfère de loin procéder ainsi, et le public aussi, plutôt que de faire comme si “C’est moi l’artiste important ce soir et toi tu es juste l’insignifiante première partie”. J’ai horreur de ce sentiment !

Don Ross

En plus de ses racines montréalaises, Don Ross a également hérité du sang autochtone de sa mère, qui a caché ses origines mi’kmaq durant de nombreuses années à son entourage… et même à son mari ! S’il cultive volontiers ce legs, le guitariste agit un peu comme sa maman (bien qu’involontairement) quand il est question de composer : vous ne trouverez pas vraiment trace de sonorités traditionnelles dans son œuvre. « Ma musique est ce qu’elle est, je n’ai pas beaucoup de contrôle là-dessus. Si j’essayais d’intégrer des chants ou des percussions autochtones, ça sonnerait vraiment emprunté et inauthentique, comme si je cherchais à tirer profit de cet héritage au lieu de lui rendre hommage. J’évite donc de le faire, car je joue la musique que je veux jouer. »

Don Ross, avec Kent Nishimura, le dimanche 14 avril à la Sala Rossa

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La fanned fret

Non, vos yeux ne vous jouent pas des tours. Plusieurs guitares employées par Don Ross semblent effectivement distordues, et plus particulièrement leurs frettes (barrettes métalliques séparant les cases du manche). D’habitude rigoureusement parallèles, elles forment ici une sorte d’éventail ; ce sont des guitares fanned frets ou multidiapasons. En fait, cette disposition moins courante a été mise au point depuis des siècles. « Comme je tends à utiliser des accordages plus graves, cela peut entraîner des problèmes d’intonation. Contrairement à une guitare conventionnelle, les cordes d’une fanned fret n’ont pas toutes la même longueur, et cela permet de garder une intonation optimale même en dessous de l’accordage standard », explique l’artiste, qui collabore avec le luthier ottavien Marc Beneteau.

PHOTO FOURNIE PAR THAT ERIC ALPER

L’une des guitares de Don fabriquées par le luthier Marc Beneteau