Habité par l’héritage de la musique francophone québécoise, Émile Bourgault fait perdurer à travers son œuvre le legs d’une culture qu’il veut faire exister dans notre temps. Le premier album de l’auteur-compositeur-interprète, Tant mieux, prolonge le chemin tracé par ses idoles avant lui.

Lorsqu’il a découvert ses goûts musicaux, au début de l’adolescence, Émile Bourgault s’est pris de passion pour l’œuvre de Paul Piché, de Robert Charlebois, de Laurence Jalbert et de Gilles Vigneault. Mais c’est avant cela, grâce à un artiste un peu plus contemporain, que le jeune Émile a trouvé « la flamme » en lui, celle qui l’a mené à prendre une guitare lui aussi et à écrire ses propres chansons. « Quand j’ai découvert Rite de passage, d’Émile Bilodeau, tout a changé », nous raconte l’auteur-compositeur-interprète de 20 ans, lors de son passage dans les locaux de La Presse, une semaine avant la sortie de l’album.

Au début du secondaire, il suit alors des cours de guitare, lui qui a longtemps joué du piano. « Ce n’était pas encore concret à ce moment, mais c’est pour ça que j’ai commencé : je voulais faire des albums. » S’il n’a pas grandi au sein d’une famille où l’on jouait professionnellement de la musique, on en écoutait beaucoup au quotidien. Pour Émile, cet « apprentissage » par la découverte des artistes que ses parents lui ont fait connaître a été déterminant.

C’était quelque chose de sérieux. Il y avait un degré d’appréciation qui était requis. Ils m’ont montré beaucoup de musique francophone quand j’étais petit. J’ai été habité tôt par le poids de cet héritage et de cette culture.

Émile Bourgault

Quelques années plus tard, le voilà qui fait paraître son tout premier album. « C’est un peu un but de faire perdurer l’héritage francophone, dans la chanson et l’écriture, dit Émile Bourgault. J’ai été choyé d’avoir accès à énormément de culture. Je ne peux pas me détacher de ça. Ce n’est pas un poids ni une responsabilité. »

S’il sent la liberté de faire « un album en anglais ou un album de jazz instrumental, si ça [lui] tente », au moment de créer, tout le ramène à ça : « la chanson, dans son sens le plus pur ».

Extrait de L’alinéa, d’Émile Bourgault
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Un travail de groupe et de temps

Tant mieux est exactement cela (et plus encore). Un album de textes, où se rencontrent la pop, le rock et le folk. Un album où les mots ont toute leur importance, mais où les autres instruments que la voix prennent aussi une place essentielle. « Ce sont les humains qui se sont joints au projet qui ont ajouté les couches qui constituent l’album, décrit Émile Bourgault. C’est vraiment un album de band. J’ai des mélodies, mais je ne peux pas écrire de partitions. »

C’est la générosité des instrumentistes, leur humanité, qui changent tout. Quand j’écoute l’album, je les entends.

Émile Bourgault

Émile Bourgault ressasse ces années passées à travailler sur ses chansons et sur son disque avec une sorte de tendresse. « J’ai eu la chance de prendre mon temps, ça fait deux ans qu’on y travaille. Et quand je le réécoute maintenant, je sais qu’on n’a tourné aucun coin rond et je suis content. On a joué ces chansons dans les concours, on les a travaillées et retravaillées, on en a scrappé, on en a gardé. Je me dis qu’on a le meilleur de ce qu’on pouvait avoir. »

Ce « on », il est composé du groupe de musiciens qui jouent sur l’album (dont Emmanuelle Brin-Delisle, Simon Boisseau, Florence Beauquier-Léger et Adèle Saulnier) et de Félix Dyotte, principalement attitré à la réalisation. « Quand j’ai fait le concours Ma première Place des Arts, on avait quatre heures de mentorat avant la finale et c’était avec Félix, raconte Émile. Après cette rencontre, je lui ai naïvement écrit pour savoir si on pouvait travailler ensemble. On a pris un café, on a jasé trois heures et ça a cliqué. »

C’est avec le temps qu’il a réalisé qu’il collaborait avec un réalisateur de grande expérience. « En studio, on était des musiciens de 19 à 24 ans, il n’y avait pas de grosses pointures, mais je sentais qu’il tripait avec nous autres. J’en suis tellement reconnaissant, parce que l’album ne serait tellement pas ce qu’il est sans lui. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Émile Bourgault

Avancer et grandir

Avant ce disque, Émile Bourgault a accumulé de l’expérience. D’abord en faisant paraître deux mini-albums, Bleu pâle (2020) et Nous aurons toujours le ciel (2021). Mais aussi en participant à des concours. En 2022, il s’est rendu jusqu’à la grande finale des Francouvertes, puis il a remporté l’édition 2023 de Ma première Place des Arts et a été couronné lauréat de la 55e édition du Festival international de la chanson de Granby la même année.

« J’ai cette chance d’avoir eu des tapes dans le dos, une reconnaissance des choses que je fais, témoigne Émile Bourgault. Je me suis bâti une confiance. Aux Francouvertes, je n’étais pas confiant, on avait 17 ans, je n’avais pas fait de scène à part les Secondaire en spectacle. Je ne comprenais rien de ce milieu et je me sentais un peu tout seul dans mon bateau, mais je n’aurais pas eu la confiance que j’ai si je n’avais pas fait ça. »

Émile Bourgault regarde par-dessus son épaule et constate un long chemin parcouru en très peu de temps. Lui qui a commencé à écrire des chansons dès l’âge de 12 ans a vu sa plume évoluer.

Mon écriture s’est complètement transformée avec mes expériences de concours, avec les gens que j’ai rencontrés et mes expériences de vie aussi. Tellement de choses se sont passées que ça a fait bifurquer ma façon d’écrire.

Émile Bourgault

S’il ne parvient pas vraiment à retracer comment s’écrivent ses chansons parce qu’il a des sortes de « blackouts » issus de pulsions qui le mènent à des textes, il a maintenant appris à travailler a posteriori les mots qu’il a écrits. Mais pas plus qu’il ne le faut. Il cite Jimmy Hunt, qui a déjà dit qu’il ne cherchait pas à compléter une chanson simplement parce qu’elle est courte ou n’a pas la structure standard qu’on attend souvent. « Si je répète deux fois la même chose et que c’est ça, la toune, alors c’est ça », dit Émile.

L’auteur-compositeur-interprète n’arrête pas d’apprendre, de grandir, tandis que s’écrit le premier grand chapitre de son parcours. Dans toute sa sagesse, il perçoit la parution de son album avec une grande lucidité.

« Je me sens bien ancré, surtout parce que je suis tellement bien entouré. Ça me met dans une zone où je me dis que même si ça ne fonctionnait pas, on a vécu tellement de belles choses que je vais rester en paix, dit-il. Je suis prêt à supporter l’album pendant deux ans si ça marche ou bien à me remettre à travailler sur le prochain truc sinon. »

Émile Bourgault donnera le spectacle de lancement de Tant mieux au Lion d’Or le 9 avril prochain.

Tant mieux

Chanson, pop-folk

Tant mieux

Émile Bourgault