Dire que cet album était attendu relève de l’euphémisme. Cowboy Carter était annoncé comme un album country, mais il est bien plus que cela, alors que Beyoncé y bouscule les codes et donne une leçon d’histoire.

Ceci n’est pas un album country

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Beyoncé

« It ain’t a country album, it’s a Beyoncé album. » C’est avec ces mots que Beyoncé présente son huitième disque. S’il ne faut se souvenir que d’une chose en écoutant Cowboy Carter, c’est bien de cela. Ici, Beyoncé s’est emparée des codes de la musique country et en a fait… tout ce qu’elle a eu envie d’en faire. Entourée d’invités de marque (dont Dolly Parton, Linda Martell, Willie Nelson, Miley Cyrus et Post Malone), elle a réaffirmé son rejet des étiquettes. À 42 ans, Beyoncé a une identité musicale limpide, qui s’affirme une fois encore, avec la grande aptitude d’explorer en même temps des sonorités qu’elle n’avait qu’effleurées auparavant – par exemple avec la chanson Daddy Lessons, qui s’inspirait déjà en 2016 du bluegrass, ou même Irreplaceable, qui, dès 2006, avait sa propre (légère) teinte country. Sur Cowboy Carter, l’influence est franche : le country est partout sur ce disque, le son rétro issu de Nashville s’y retrouve, l’inspiration puisée dans le rock classique aussi. Beyoncé repositionne l’americana, rendant hommage à tout ce qui le compose (du folk à la soul, en passant par le bluegrass et le rock) en l’incorporant à ce qui distingue sa musique (notamment la forte présence du R&B et du hip-hop). Ainsi, pas vraiment besoin d’être un expert de musique country – ou d’aimer le country traditionnel – pour reconnaître la qualité de Cowboy Carter.

Extrait de Bodyguard, de Beyoncé
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Un peu de contexte

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Beyoncé

Beyoncé a toujours été (un peu) country, on le constate en fouillant sa discographie, depuis les Destiny’s Child. Cette fois-ci, pas de demi-mesure. Cowboy Carter est le second volet d’un triptyque lancé en 2022 avec l’album Renaissance. Il aura pris à Beyoncé plus de cinq ans à confectionner, et il était prévu qu’il sorte en premier. Le voilà enfin, ce disque « né d’une expérience durant laquelle [elle ne s’est] pas sentie accueillie », a-t-elle expliqué, faisant probablement référence à la parution de la chanson Daddy Lessons, rejetée à l’époque par le comité des prix Grammy dans la catégorie country et également répudiée par les puristes du genre. La place des artistes afro-américains dans cet univers musical amène une question essentielle : qui a le « droit » de faire de la musique country ? La réponse de Beyoncé : tous ceux qui ont envie d’en faire… et ils peuvent en faire de la manière dont ils ont envie ! Le message est on ne peut plus clair pour les auditeurs : « L’acte II – ce Cowboy Carter – m’a mise au défi et m’a fait prendre le temps d’altérer et de mélanger les genres », a expliqué Beyoncé.

Extrait de Texas Hold ’Em, de Beyoncé
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Un cours d’histoire

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Beyoncé

La musique country a toujours été une musique afro-américaine, que certains cowboys rigides de Nashville le veuillent ou non. Ceux qui ne le savaient pas l’apprendront avec cet album, qui donne un cours d’histoire à quiconque daigne ouvrir attentivement les oreilles (et effectuer quelques recherches par la suite). Le country est né du folk européen et afro-américain. Il a évolué en puisant avidement dans le blues. La première famille de la musique country, la famille Carter, qui a popularisé le genre dans les années 1920, a fondé son œuvre à partir du blues et des guitares gospel et folk de l’Afro-Américain Lesley Riddle. Beyoncé, dont la famille vient du sud des États-Unis (elle est née à Houston, au Texas, d’une mère de la Louisiane et d’un père de l’Alabama), a bien étudié ses leçons d’histoire avant de chanter son héritage. La présence sur l’album de Linda Martell, première femme noire à obtenir un succès populaire dans le country, dans les années 1960, a une forte symbolique. Des extraits de chansons de Chuck Berry, pionnier du rock’n’roll, figurent également sur le disque. Et que dire de sa reprise de la pièce Blackbird, des Beatles, pièce qui recèle un message puissant : Paul McCartney l’a écrite dans les années 1960 pour parler de racisme et de ségrégation, alors que neuf étudiants noirs avaient, pour la première fois aux États-Unis, intégré une école réservée aux Blancs. Les symboles sont partout.

Extrait de Blackbiird, de Beyoncé
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Vingt-sept chansons, 80 minutes

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On retrouve de tout sur les 27 chansons (pour près de 80 minutes d’écoute) qui composent Cowboy Carter. La pièce d’ouverture, Ameriican Requiem, est un morceau grandiose, un hymne aux accents patriotiques qui proclame son droit à se faire entendre, à être fière, à exister dans l’espace qu’elle occupe. La superbe Bodyguard, l’une des plus entraînantes du disque, a un groove rock, sexy, des paroles explicites et un rythme dansant. II Hands II Heaven est aussi R&B qu’elle est gospel. Sur Sweet*Honey*Buckiin, Nashville et le New Jersey se rencontrent dans un mélange country-hood. La pièce Daughter est une ballade aux airs de western, sur laquelle l’énonciation de la chanteuse amène une touche hip-hop et dont le texte réfère au meurtre et à la violence. Parfait exemple de ce que peut faire Beyoncé, la chanson nous transporte à mi-chemin complètement ailleurs, avec un air d’opéra, sans décontenancer. La plaisante et grivoise Levii’s Jeans accueille Post Malone, qui donne plutôt bien la réplique à Beyoncé. L’une des collaborations les plus fructueuses du disque, sur II Most Wanted, avec Miley Cyrus, permet un duo très classique, où les chanteuses ont un couplet chacune et semblent en conversation. Sur Cowboy Carter, Beyoncé fait des choix audacieux (un ton de guitare un peu bancal, un cri d’aigle [emblème américain] entre deux chansons, un banjo prédominant), pas toujours parfaits, mais chaque fois complètement assumés.

Extrait d’Ameriican Requiem, de Beyoncé
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Celles avant et celles après elle

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Beyoncé

Beyoncé ne s’est pas privée d’aller recueillir la bénédiction d’icônes du country et d’en parsemer son album. Sachant la réticence de certains, elle a inclus à même les chansons ses réponses aux jérémiades. Qui osera dire à Willie Nelson qu’il a tort lorsqu’il dit que Beyoncé amène sur cet album « some real good shit » ? Qui lèvera le nez sur la réinterprétation de la chanson Jolene, alors que Dolly Parton elle-même, dans un interlude, fait l’introduction du morceau ? Parton a dit à quelques reprises ces dernières années qu’elle souhaitait que Beyoncé reprenne Jolene. Elle l’a fait à sa manière, en altérant les paroles : cette fois, plus question de supplier Jolene de ne pas approcher son homme, Beyoncé la prévient plutôt des conséquences si elle ose le faire. Cowboy Carter fait honneur à la musique country en se plongeant dans les influences du passé, mais également en se projetant vers le futur. Ainsi, les chanteuses country afro-américaines Reyna Roberts, Tanner Adell, Brittney Spencer et Tiera Kennedy chantent en chœur avec elle sur Blackbiird, une pièce toute désignée pour signifier qu’un temps nouveau est nécessaire. Beyoncé est loin d’être la première artiste populaire noire à faire perdurer le country dans son œuvre. Ray Charles, Solomon Burke, Esther Philips, Otis Williams, Millie Jackson ou Tina Turner y ont tous touché. Nul doute que cet album de Beyoncé représente pour les artistes country noirs un espoir qu’il sera un peu plus facile pour eux, désormais, de faire valoir leur place.

Extrait de Jolene, de Beyoncé
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Cowboy Carter

Country pop

Cowboy Carter

Beyoncé

Parkwood Entertainment, Sony Music

8,5/10