Barbara Hannigan, phénomène musical en soi, sera en résidence à l’OSM pour les deux prochaines semaines. La soprano et cheffe canadienne installée en France est une athlète des musiques les plus complexes, dotée d’une personnalité qui met le feu sur son passage.

À Montréal, Barbara Hannigan risque de laisser des souvenirs puissants à ceux qui la verront diriger et chanter La voix humaine, l’œuvre que Francis Poulenc a tirée de la pièce de Jean Cocteau.

Cette production est un tour de force : la musique émane du personnage, lui traverse littéralement le corps, nous donnant accès à sa psyché qui s’ouvre devant nous sous une forme sonore.

En la joignant par visioconférence chez elle en Bretagne, je parle d’abord avec Barbara Hannigan du Conservatoire royal de La Haye, aux Pays-Bas, d’où elle est diplômée et où j’ai étudié quelques années avant elle. La silhouette du pianiste et chef Reinbert de Leeuw ainsi que ses concerts de musique contemporaine fascinants marquaient déjà l’établissement à mon époque.

Barbara Hannigan parle souvent de lui comme d’un mentor, et je croyais à tort qu’il avait déclenché sa passion pour la musique contemporaine.

J’aime la musique contemporaine depuis toujours ! Cet intérêt s’est accéléré pendant mes études à Toronto.

Mais ce que le regretté Reinbert de Leeuw a transmis à Barbara Hannigan contribue à faire d’elle une grande interprète, toutes musiques confondues. « Une perspective sur l’espace et le temps, sur la qualité des moments de silence entre les notes, sur ce qui rend la musique magique. »

Un besoin physique

Compagnon de vie de Barbara Hannigan, l’acteur et réalisateur français Mathieu Amalric l’a filmée à six reprises, en court et en long format documentaire. « Il a un œil unique, un grand sens du rythme, il adore la musique », dit-elle de lui.

Si l’homme de cinéma a le sens du rythme, Barbara Hannigan aime créer des programmes où les œuvres sont liées par « un centre dramaturgique » : « La voix humaine, c’est le chant déchirant d’un cœur brisé. C’est la solitude, la mélancolie, la perte de la raison. J’associe l’œuvre de Poulenc aux Métamorphoses de Strauss, qui font le constat d’un monde détruit, avec beaucoup de nostalgie. Mais ce que je vous dis là, je n’en parle pas aux musiciens : les intentions doivent être claires par la musique elle-même, par les gestes. »

Parlant de gestes, d’où est née l’idée de diriger : d’un besoin physique, ou plutôt du désir de contrôler tous les paramètres ? « Les deux ! Ça s’est développé dans mon corps : sans m’en rendre compte, en chantant, je donnais des indications avec mes épaules, mes bras, ma tête. Simon Rattle [alors directeur musical de la Philharmonie de Berlin] m’avait dit : “Vous chantez comme un chef.” Puis René Bosc, un manager français, m’a proposé de me lancer en 2011, et ça n’a pas arrêté depuis. »

Après ses débuts de cheffe, Rattle l’a appelée pour lui dire : « Barbara, ça va continuer pour longtemps, ce serait une bonne idée de prendre quelques leçons avec Jorma Panula [chef et pédagogue finlandais reconnu], après tu viendras me voir. »

Transmission généreuse de la part d’une des grandes stars de la direction d’orchestre.

PHOTO CYRUS ALLYAR, FOURNIE PAR L’ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL

Barbara Hannigan

Au tour de Mme Hannigan de redonner à de jeunes professionnels : « Après un certain nombre de représentations d’une nouvelle œuvre, je dis au compositeur : c’est fini pour moi, ta pièce DOIT être reprise par d’autres. C’est ce que j’ai fait pour Written on Skin, l’opéra de Georges Benjamin : mon rôle a d’ailleurs été chanté à l’Opéra de Montréal par Magali Simard-Galdès. »

Depuis 2018, Barbara Hannigan repère et forme de jeunes professionnels, chanteurs, pianistes et chefs, à travers le programme de mentorat Equilibrium qu’elle a créé.

La dernière cohorte a été sélectionnée parmi 800 candidatures vidéo que Barbara a toutes visionnées. En tout, 200 artistes ont été rencontrés en personne dans cinq villes européennes ainsi qu’à Toronto.

Que cherche la fondatrice d’Equilibrium ? « Une curiosité pour la connaissance de la partition, pour la dramaturgie. J’aime l’approche athlétique, la discipline, la concentration. En plus, il faut le shimmer factor : une vibration qu’on sent dans les auditions face à face. »

Des musiciens aussi captivants qu’elle-même, quoi !

En ces temps où le pessimisme rôde, comment voit-elle l’avenir de la musique de concert ? Barbara Hannigan est optimiste. Pas étonnant, avec le succès qu’elle connaît : comme elle, un chef dont le restaurant est toujours plein croira plus facilement à l’avenir de la profession ! Mais sa réflexion est intéressante : « C’est la musique du XIXe siècle qui va baisser, ça devient répétitif de la rejouer sans cesse. Les jeunes nourris au numérique ont un appétit de nouveauté. Ils sont attirés par le mash up, les références croisées, la transe, la complexité : la curiosité est là. »

Toujours ces deux mots : complexité, curiosité. « Même quand je cuisine, je fais des recherches et me lance dans des projets complexes. Je suis comme ça, depuis toujours ! »

Richard Strauss et Poulenc par Barbara Hannigan, à la Maison symphonique de Montréal les 21 et 22 février

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Rafael Payare et la Quatrième symphonie de Bruckner, à la Maison symphonique de Montréal, les 28 et 29 février. Barbara Hannigan interprétera In the Half-Light, une œuvre écrite pour elle par la compositrice canadienne Zosha Di Castri.

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