Un ovni : c’est ainsi qu’Émilie Laforest décrit son premier album solo. « J’avais hâte qu’il sorte, pour voir comment les journalistes allaient le qualifier ! », s’amuse l’autrice-compositrice-interprète qui ne rentre dans aucun moule.

Mea silva – « ma forêt », en latin – est un disque à apprivoiser, qui se promène entre le new wave et la musique contemporaine, le baroque et la vieille chanson française, la viole de gambe, les synthétiseurs et le piano d’Alexandre Tharaud. On pourrait peut-être résumer en employant le terme « pop expérimentale », même si c’est beaucoup, beaucoup plus.

« C’est un mélange de plusieurs influences que j’ai », explique celle qui a une formation universitaire en chant classique.

Mon choix, ç’a été de laisser libre cours à ma créativité, sans aucune barrière. On dirait que c’est juste ça qui pouvait sortir de moi. Je ne pouvais pas faire de compromis.

Émilie Laforest

Loin d’être une posture, c’est plutôt une évidence pour Émilie Laforest, qui explique qu’elle a peu d’affinités avec la culture populaire. « Pas par dénigrement, mais parce que je ne sais pas comment correspondre aux codes. » D’autres le font beaucoup mieux, et avec talent, ajoute-t-elle.

Elle était même prête à vivre avec un album qui serait « difficile d’accès et un peu opaque », mais elle constate, maintenant qu’il est sorti, qu’il est plus accessible qu’elle le pensait. Il y a en effet quelque chose d’envoûtant dans ce disque hors norme peut-être, mais aux lignes mélodiques pures, et dans lequel elle transforme sa voix de soprano pour créer des effets saisissants.

« J’écris ma musique sur des partitions, les mélodies avant les accords. C’est une écriture qui est plus près du classique, avec des phrases qui se déroulent sur une longue portée. » Qui est plus près de la chanson française ancienne aussi, dans la simplicité de mélodies comme À la claire fontaine, ou dans des pièces-fleuves à la Richard Desjardins – on entend bien son influence dans la première chanson de l’album, Un puits très profond.

Extrait d'Un puits très profond

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Affranchissement

C’est parce qu’elle a compris qu’elle devait se créer sa propre tribune qu’Émilie Laforest a décidé de se lancer en solo. L’artiste multidisciplinaire avait fait beaucoup de création en musique contemporaine et en théâtre avant de fonder le duo Forêt en 2013, avec son amoureux, le guitariste Joseph Marchand. Leur album a connu un excellent succès d’estime, mais leur association musicale n’a pas survécu à la séparation du couple.

« Ç’a été un immense deuil parce que j’avais envie d’aller plus loin avec ce projet-là. » Le deuil a été long, cinq bonnes années, et pendant ce temps, elle a mis sa créativité et sa sensibilité au profit d’autres artistes. Elle a multiplié les projets, faisant autant de la mise en scène de spectacles – pour Klô Pelgag et Karim Ouellet, entre autres – que de la direction artistique de productions de variétés d’envergure et aussi diversifiées que la fête nationale à Laval et Belle et Bum à la télé.

« Aider les autres à s’épanouir a peut-être contribué à mon envie de tenter mon coup. Surtout que je sentais que ce n’était pas terminé, que je n’étais pas prête à passer à autre chose. » Elle avait quelque chose à dire, envie de le porter sur scène… et si elle ne faisait rien, rien ne changerait.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Émilie Laforest

Cet album, c’est un immense affranchissement. Tu m’aurais dit il y a 10 ans « tu vas écrire un album toi toute seule avec des textes », c’est sûr que je ne t’aurais pas crue.

Émilie Laforest

En effet, à l’époque de Forêt, elle ne voulait pas écrire. Pourtant cette fois, c’est par l’écriture que l’impulsion est venue.

Lire de la poésie lui a donné des idées de champs lexicaux et de phrases à développer. Outre la chanson Toundra, qui est dédiée à Joséphine Bacon, Mea silva est un voyage intérieur qui part entièrement de ce qu’elle ressent. « C’est pour ça justement que le titre est “ma” forêt. J’avais besoin de découvrir ce que je voulais dire de moi. »

Extrait de Me souvenir
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Et qu’a-t-elle découvert justement ? Elle hésite. « Que derrière la douleur, ou la difficulté, ou les choses tristes, il y a de la beauté. J’ai eu la surprise de découvrir ça, en creusant et en creusant. C’est quelque chose que je me refusais avant. »

Elle est bien consciente que le résultat est intense et « pas léger », mais cette beauté qui se trouve au détour d’une phrase l’éclaire aussi d’une certaine lumière. « On n’est pas enfermés complètement dans le noir. C’est plus clair-obscur. »

Recherche

Émilie Laforest est fière de cet album qu’elle a coréalisé avec Mathieu Charbonneau d’Avec pas d’casque. « Mon plus grand défi était de me plaire à moi-même. » Elle sait par contre très bien qu’elle ne pourra pas partir en tournée partout au Québec avec une telle œuvre. Elle se voit plutôt participer à quelques festivals, créer des dérivés comme un spectacle avec de nouvelles technologies.

« Les spectacles évènementiels, uniques, avec un concept, je me reconnais dans ça. » La suite sera donc nécessairement hors norme, et toujours dans la recherche.

Extrait de La malheureuse
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« Tu sais, tu me demandais au début à quoi ça s’apparentait ? Je dirais à l’art contemporain en général. Les arts visuels, la danse contemporaine, le théâtre de création. »

— Un peu comme une installation qu’on irait voir dans un musée d’art contemporain ?

« Oui, c’est ça. Genre mon disque sort, il va être là pendant quatre semaines à la Galerie Clark… Haha ! Ça s’apparente plus à ça qu’à la scène musicale. C’est un petit objet d’art. »

Mea silva

Pop expérimentale

Mea silva

Émilie Laforest

Simone Records