Des mutations sont en cours chez Spotify concernant le partage des redevances. Et avec la disparition de Qub musique, seule plateforme à faire une véritable place aux artistes québécois, notre musique d’expression française perd de la visibilité en ligne. Éclairage sur un portrait qui s’assombrit pour les artistes d’ici, celui des plateformes de musique.

Révision positive chez Spotify ?

PHOTO MARIE-MICHÈLE BOUCHARD, FOURNIE PAR LA SOCAN

Alexandre Alonson, directeur exécutif des affaires du Québec à la SOCAN

La plus importante plateforme de diffusion de musique en continu, Spotify, a annoncé récemment une révision de son mode de distribution. Elle change notamment les règles de rétribution pour les fichiers sonores non musicaux (bruits de nature, bruit blanc, etc.) et veut cesser de verser des droits pour les chansons qui jouent environ moins de 200 fois par année. Les économies – 1 milliard, selon Music Business Weekly – s’ajouteraient aux sommes déjà versées en redevances. « Prétendre qu’on veut soutenir une industrie en pénalisant ceux qui ne jouent pas beaucoup m’apparaît un comportement guidé par les intérêts des multinationales », juge Jean-Robert Bisaillon, chercheur sur le numérique associé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), précisant en outre que des géants du disque figurent parmi les actionnaires de Spotify. L’aspect positif de ces changements, observe la SOCAN, c’est qu’ils marquent la volonté du géant de valoriser la musique et de marginaliser les « éléments parasites », souligne Alexandre Alonso, directeur exécutif des affaires du Québec de cette société d’ayants droit. Les pertes s’annoncent minimes pour les ayants droit : les artistes touchés par cette modification n’auraient de toute manière reçu que quelques sous pour une année entière.

Qub musique : une perte importante ?

IMAGE TIRÉE DU SITE QUB MUSIQUE

Page d’accueil de Qub Musique

La fin de Qub musique, annoncée en février 2022 après moins de deux ans d’existence, a forcé un constat : « Si une grande entreprise comme Québecor n’arrive pas à s’imposer, personne d’autre ici n’est positionné pour se mesurer aux grandes plateformes [internationales] », résume Alexandre Alonso. Comme d’autres, il constate que les parts de marché de Qub musique n’étaient pas suffisantes pour avoir un impact significatif sur les revenus des artistes. Ce que le milieu regrette surtout, c’est la perte de la seule plateforme qui avait à cœur la mise en valeur de la musique d’ici et sa capacité à proposer des listes de lecture adaptées à la réalité québécoise (mélange de chansons en anglais et en français, notamment). « Qub faisait le travail qu’on attend des autres plateformes de streaming », souligne Simon Claus, directeur des affaires publiques et de la recherche à l’ADISQ. « On voyait que les listes étaient faites par des humains, dit aussi Jean-Robert Bisaillon. Les autres plateformes devraient prendre ça en considération et améliorer leurs services de recommandation sur une base locale. »

1 million qui fera la différence ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Eve Paré, directrice générale de l’ADISQ

La musique québécoise d’expression française se démarque peu sur les plateformes de diffusion en continu. Il y a très peu – souvent pas – de titres en français parmi les 100 chansons écoutées au Québec et la musique d’ici est souvent rassemblée dans des listes de lecture sans queue ni tête. L’ADISQ accueille donc favorablement l’investissement de 1 million annoncé par le gouvernement du Québec pour soutenir Meta Musique, dont la mission est de favoriser un meilleur « étiquetage » de la musique québécoise dans le but d’en favoriser le rayonnement. Eve Paré, directrice générale de l’ADISQ, en parle comme d’un nécessaire « outil de découvrabilité ». La valorisation de la musique d’ici doit aussi passer par le système d’éducation, une plus grande présence dans les espaces publics, un meilleur marketing et un soutien financier, selon elle. « On a de petites entreprises qui n’ont pas les moyens de rivaliser avec des multinationales », insiste-t-elle.

Levée de boucliers contre la loi canadienne ?

PHOTO ÉRIC GAILLARD, ARCHIVES REUTERS

L’entreprise Spotify parvient à se distinguer partout où elle passe, même à Cannes, durant le célèbre festival du septième art.

Meta, propriétaire de Facebook et Instagram, a bloqué le partage de contenu journalistique canadien après l’adoption d’une loi qui vise notamment à contraindre l’entreprise à verser une redevance aux médias d’ici pour l’utilisation de leur travail. Ce geste pourrait-il donner des idées aux AppleMusic et Spotify de ce monde, alors que la révision de la Loi sur la radiodiffusion prévoit des mesures pour mettre en valeur la musique canadienne et québécoise, ainsi que le versement d’une contribution à la production musicale d’ici ? « Ça rue dans les brancards, reconnaît Eve Paré, mais personne ne menace de se retirer. » Jean-Robert Bisaillon souligne que les plateformes de diffusion savent qu’elles font partie d’un « écosystème de la distribution de la musique » et juge peu probable une réaction aussi draconienne que celle de Meta, une analyse partagée par la SOCAN et l’ADISQ.

Quelle plateforme paie le mieux les artistes ?

CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE BANDCAMP

Page Bandcamp de Jimmy Hunt

La majorité des plateformes de diffusion de musique en continu ont la réputation de mal payer les ayants droit. Tidal se vante de son côté de mieux rétribuer les artistes. Ce que confirment les membres de la FELIN, selon Céline Lepage. « Il n’y a pas grand monde qui est capable de décortiquer [le système de redevances] pour en arriver à dire qui paie le mieux », dit Jean-Robert Bisaillon. Le manque de transparence des plateformes, la complexité des calculs, l’absence d’information au sujet des ententes privées survenant à différentes étapes rendent le calcul quasi impossible. « Bandcamp est une proposition intéressante pour les musiciens, s’ils sont capables d’y attirer leur auditoire », précise Jean-Robert Bisaillon, en soulignant que les artistes peuvent s’y faire entendre, vendre leur musique et même des produits dérivés. Comme utilisateur, à défaut d’informations fiables, il ne reste en somme qu’à opter pour le service qui correspond le mieux à ses besoins.