Lait paternel, septième album du groupe rap québécois Alaclair Ensemble, sera lancé vendredi. La Presse a rencontré trois de ses cinq membres : KNLO, Robert Nelson et Vlooper. Comme sur leur nouveau disque, aucun sujet n’a été écarté au cours de cette discussion.

La famille

« On reste en bons termes / Même en désaccord / Le vibe y est foutu bon », rappe Akena Okoko, alias KNLO, sur Ton ami conspi. Ces quelques mots résument parfaitement l’essence de Lait paternel et l’état d’esprit d’Alaclair Ensemble.

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La famille n’est pas qu’un des plus grands succès du groupe, c’est aussi ce qui illustre le mieux la force du lien qui unit ses membres. « On fait de la musique en famille depuis toujours et le procédé n’a pas changé. Le nom Alaclair Ensemble représente plus de choses dans la tête du public, mais on n’y pense pas tant, explique Louis-Nicolas Imbeau, alias Vlooper, principal fabricant de rythmes du collectif. On a eu des hauts et des bas. On s’est relevés, on s’est soutenus. Pour nous, [faire l’album] c’était une thérapie après une grosse épreuve familiale. »

L’épreuve en question, c’est l’expulsion, en juillet 2020, d’Olivier Normandin-Guénette, alias Maybe Watson, qui s’était ensuite excusé pour sa conduite qui « a souvent été tout à fait déplorable ».

Le rappeur déchu n’est pas de retour, mais on l’entend pendant près de trois minutes dès la deuxième piste, Carte postale. « Dans ma tête ça tourne en rond / C’est pu des montagnes russes / C’est plus un carrousel ».

« Je comprends clairement pourquoi ça peut être surprenant de l’entendre, mais ça serait possiblement plus surprenant qu’il ne soit pas là du tout, juge Ogden Ridjanovic, alias Robert Nelson. Il aurait pu y avoir une interprétation non désirée de notre part si la toune était à la fin, en mode “si tu te rends jusque-là dans ton écoute, peut-être que tu vas réaliser qu’elle existe”. Elle est là dès le début, elle est assumée et fait partie intégrante de l’album. »

« Quelque chose est arrivé. On l’a géré de telle façon. Maintenant, on vit avec les conséquences, pour le meilleur et pour le pire. […] Ce qu’on critique par rapport à ce qu’on appelle la cancel culture, c’est de vouloir trouver une solution simple à un problème très complexe », croit Vlooper.

Évacuer et célébrer

Comme à l’habitude, les gars d’Alaclair se sont rassemblés quelques fois dans un chalet afin d’élaborer leur nouvelle offrande. « Les chalets sont des semaines thérapeutiques. C’est bon pour la psyché », témoigne Vlooper. « Ce sont comme des tentes de sudation. C’est hautement psychédélique et on évacue les toxines », ajoute Robert Nelson.

Extrait de Stack, d'Alaclair Ensemble

Car, outre les évènements concernant Maybe, le groupe a été marqué par les années de pandémie qui ont exacerbé certains des pires traits de nos sociétés.

« On ne voit pas vraiment de débat. Ce qu’on voit se termine toujours par traiter l’un de woke, l’autre de complotiste ou de l’extrême droite. Il n’y a pas de célébration de “on est différents et c’est correct comme ça”, estime Vlooper. C’est correct qu’on ne pense pas de la même façon et qu’on ne fasse pas les mêmes choses. On n’a jamais été pareils. On s’est juste retrouvés dans une situation qui a exposé ça au grand jour. »

Les rappeurs sont très conscients des points de vue divergents et des contradictions qu’on retrouve sur Lait paternel. En fait, il est évident pour eux qu’une variété d’opinions existe lorsqu’il est question de wokisme, de complotisme et d’autres sujets qui divisent.

« On essaye de changer notre écoanxiété en écocélébration », résume KNLO, qui assure qu’il s’agit d’« une version adoucie du vrai album ».

Comme un film

À quelques reprises au cours de l’album, Claude Bégin chante, un peu à la manière de Joe Dassin, de courtes chansons, souvent drôles, souvent mordantes, qui tracent en quelque sorte le fil conducteur de l’œuvre.

« Il y avait vraiment un désir de film, de movie. Les trucs western sont dans les premiers qu’on a enregistrés, souligne Vlooper. Quand j’écoute ce que Claude a fait, je m’imagine dans un saloon un peu miteux où il y a un genre de chanteur-conteur semi-ivre qui narre les évènements de l’endroit. »

Et, comme dans un western, il y a des coups de feu.

Extrait de J'ai vu, d'Alaclair Ensemble

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Sur J’ai vu, une reprise de Luc De Larochellière – « Il nous a donné la permission », assurent-ils –, Claude Bégin chante entre autres : « Et j’ai vu des rappeurs qui n’ont jamais rien sorti annoncer leur retour / Et j’ai vu tous ces chanteurs annulés déménager outre-mer pour une graine dans un verre ».

Aujourd’hui, il y a peu de choses dans le rap qu’on juge scandaleuses, alors que c’était le cas il y a 20 ans. Personne ne s’indigne du nouvel album de gangsta rap où Untel t’explique comment vendre de la dope. Qu’est-ce qui est scandaleux de nos jours ? C’est intéressant de se poser cette question.

Ogden Ridjanovic, alias Robert Nelson

En plus de certains thèmes abordés et de certaines personnalités visées, des artisans de la culture hip-hop québécoise sont également évoqués, en particulier sur Rap de cégep. « On vient d’un style de musique qui est un peu sportif. Avoir l’humilité de dire : “Je ne suis pas en dehors de ça.” On vient du rap, c’est l’fun de dire des choses un peu splashy, des fois », lance KNLO.

« On est à l’aise avec la façon dont les choses ont été dites. Une bonne joke n’a pas besoin d’explication. Ça ne veut pas dire que tout le monde va la comprendre de la façon dont tu le souhaitais, mais il y a un chemin pour la comprendre et on croit que les gens sont pour la plupart capables de l’emprunter », dit Robert Nelson.

Mais puisque le groupe aime se contredire, KNLO insiste que « ça prendrait plus de 1000 podcasts pour expliquer le sens de l’album ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Alaclair ensemble sortira son septième album en septembre.

La scène et le succès

En attendant de retrouver leur public, les gars ont bien hâte de voir sa réaction, qu’ils comparent à une « étude sociologique ».

« On sort des albums depuis 2010. On a travaillé fort, mais on a été chanceux. On a eu un succès populaire et critique. On avait des choses à se prouver à un certain moment, à soi et aux autres. Mais si pour une raison X ou Y, malgré le fait qu’on se soit appliqués, le succès n’est pas au rendez-vous, je peux dire que c’est le moment où ça me dérangerait le moins de toute ma vie », confie Robert Nelson.

« À chaque album, c’est le dernier, depuis les six précédents. Si ça fleurit, ça continue. Si on ne le feel plus, on passe à un autre appel », tranche Vlooper. « C’est un miracle de la nature », conclut KNLO.

Lait paternel sera lancé sur scène en deux temps. D’abord à Québec, à l’Impérial Bell, le 7 septembre, puis à Montréal, au Club Soda, les 29 et 30 septembre.

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