En devenant la première membre du Panthéon de la musique canadienne à chanter uniquement en français, Diane Dufresne, qui sera intronisée ce jeudi lors d’une cérémonie à Calgary, ouvre encore une fois le chemin.

« Faut que quelqu’un le fasse, comme dit la chanson », rigole Diane Dufresne – la sienne en l’occurrence, Hollywood Freak, qui date de 1977. C’était un an avant que l’Académie canadienne des arts et des sciences de l’enregistrement (CARAS), qui s’occupe aussi des prix Juno, ne fonde ce « Hall of Fame » canadien, qui intronisera cette année, en plus de Diane Dufresne, le pianiste de jazz Oliver Jones, la chanteuse country Terri Clark et le groupe rock Trooper.

0:00
 
0:00
 

Lors d’une conversation téléphonique aussi joyeuse que sans filtre, la diva s’étonne quand même d’être la première chanteuse francophone à y faire son entrée en 45 ans. « Ça fait longtemps que ça existe, c’est quand même surprenant. Il y a aussi Plamondon qui l’a eu [en 2011]. Mais il y a tellement de Québécois de langue française qui auraient pu être là bien avant ! »

Diane Dufresne n’aime pas beaucoup les galas, même si les honneurs et les reconnaissances, « ça fait toujours plaisir ». C’est donc pour ce que ça représente pour le public et pour la langue française qu’elle a accepté de se rendre à Calgary cette semaine, en se disant qu’après elle, « il y en aura sûrement d’autres ».

Je vais mettre mes vêtements de Diane Dufresne et aller faire un tour. C’est une grande sortie.

Diane Dufresne

Tous les contacts ont été agréables et « tout le monde fait un effort » pour lui parler français, raconte la chanteuse, qui rappelle que l’intronisation vient avec un don d’instruments d’une valeur de 15 000 $, de la part d’un mécène, à une école dans un milieu défavorisé. Ce qui lui fait très plaisir.

De son côté, elle doit léguer un de ses artefacts scéniques au musée du Panthéon, qui est situé aussi à Calgary. Ce qu’elle a donné : la robe rose et la couronne qu’elle portait pour incarner la statue de la Liberté lors de son légendaire spectacle Magie rose au Stade olympique en 1984.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Diane Dufresne, à son entrée sur la grande scène du Stade olympique, en 1984

« On a mis ça dans de belles boîtes de Simons et on leur a envoyé ça. Ils sont tellement heureux de nous recevoir dans ce musée ! Je suis accueillie avec beaucoup de chaleur, c’est extraordinaire. Ici, je fais plus peur aux gens, là-bas, ils sont fiers. » Peut-être parce que personne n’a vu la pochette de son album avec des fleurs de lys peintes sur ses seins ? « Peut-être. » Elle rigole. « Peut-être quelques-uns. Ou peut-être qu’ils m’envoient juste ceux qui parlent français ! »

Identité

Depuis 60 ans, Diane Dufresne a été une grande ambassadrice de la culture québécoise, de sa langue et de son accent, partout dans la francophonie. Jamais elle n’a fait carrière en anglais, et si elle a déjà chanté à Vancouver et à Toronto, c’était « pour des gens qui parlaient français ». « Je sais que jeudi, la plupart des gens qui seront dans la salle ne me connaîtront pas. »

Son discours, qu’elle n’a pas l’intention de traduire, est déjà écrit. Pour que ce ne soit pas trop long, et surtout parce qu’elle veut s’assurer de n’oublier personne : compositeurs, auteurs, producteurs, coiffeurs, maquilleurs, couturiers, « tout un monde » qui a fait d’elle Diane Dufresne.

« Et le public. Les talentueux, c’est aussi le public. Sans eux, je ne serais pas intronisée. »

Chanter en français n’a jamais été un choix politique pour elle. « Non, c’est ma vie. » Mais dès qu’on la lance sur l’importance du français, elle est intarissable.

C’est comme dépassé de parler français. Mais c’est notre identité, sinon on va être complètement gommés !

Diane Dufresne

Quand elle voit de jeunes artistes adopter la langue de Vigneault pour chanter, elle ne peut que se réjouir, surtout que l’anglais peut souvent sembler « plus facile ». « La facilité n’est pas une route. La facilité, l’intelligence artificielle va s’arranger avec ça ! Il va falloir qu’on soit un petit peu plus intelligents que les machines, très poétiques, pour gagner notre cause humaine et française. »

Changer

Diane Dufresne partira à l’automne en tournée avec son magnifique spectacle-causerie Sur rendez-vous, dans lequel elle raconte son parcours et répond aux questions du public, et où elle chante accompagnée du pianiste Olivier Godin. Elle reste active et continue à écrire, des chansons, oui, mais ce sera « un autre concept » quand ça sortira.

Il faut changer les façons de faire des projets en musique, parce que la musique a beaucoup changé. Ce n’est pas parce que je vais avoir 79 ans que je vais rester stationnée ! Si tu ne vas pas dans le nouveau, tu es vraiment figée. Et si tu es âgée, tu es figée rare. Pas loin de la statue de sel ! Hahaha !

Diane Dufresne

La chanteuse a aussi passé beaucoup de temps dans son atelier et exposera de nouvelles œuvres, différentes de ce qu’elle faisait avant, en juin à Repentigny dans le centre d’art qui porte son nom.

À la fin de la conversation, on lui demande s’il y a un prix qu’elle n’a jamais eu et qui lui ferait plaisir. « Ah oui, il y en a un que je vais recevoir en juin… Je ne peux pas dire quoi, c’est eux qui vont l’annoncer. Celui-là, c’est comme gagner mes épaulettes. » Parce qu’il concerne le public et que « c’est autre chose ».

« Le public, quand j’en parle comme ça, je suis toujours émue. Les gens qui partent de chez eux, qui viennent rêver, qui vous regardent avec cette confiance, et la musique qui les emporte… Cet échange, c’est le grand privilège de ma vie. »

On raccroche en lui souhaitant un bon voyage à Calgary. « Merci. J’espère bien vous représenter. »